Par le Pr Daniel Chevallier, le Dr Jean Bréaud, le Dr Jean-Paul Fournier et le Pr Daniel Benchimol*
SCHÉMATIQUEMENT, on peut décliner l’utilisation de la simulation en chirurgie en trois domaines.
Les simulateurs procéduraux ou « task trainers ».
Les simulateurs procéduraux permettent d’effectuer des actes simples (sutures…) ou bien très sophistiqués (réalisation d’une intervention complète en réalité virtuelle). Les simulateurs disponibles sont aujourd’hui très nombreux. L’apprentissage sur simulateur fait partie intégrante du curriculum chirurgical aux États-Unis. Cet enseignement doit être obligatoire et non facultatif.
En termes d’efficacité, l’apprentissage sur simulateur permet d’acquérir des compétences précises, d’autant plus qu’il a été débuté plus tôt dans le cursus. Par rapport au curriculum traditionnel, les résidents formés sur simulateur « gagnent » du temps : les résidents de première année atteignent le niveau de compétence des résidents de deuxième année, etc.
Surtout, on retrouve une corrélation entre la performance sur simulateur et la performance au bloc opératoire, validant l’impact de la simulation en termes de qualité des soins.
La chirurgie robotique prenant une importance croissante, des simulateurs de chirurgie robotique sont maintenant disponibles (Mimic, DaVinci). Les premiers résultats de l’entraînement sur robot sont encourageants, montrant une amélioration de la réalisation de nœuds intracorporels sur un modèle de cœliochirurgie, avec une amélioration du confort et une diminution de la charge de travail du chirurgien.
La mise en place d’un entraînement des jeunes chirurgiens à la chirurgie robotique deviendra vite prioritaire.
Les simulateurs haute-fidélité.
Technologiquement, il s’agit de mannequins dérivés de simulateurs de physiologie. Ils peuvent « parler », et surtout présentent des paramètres physiologiques (pouls, ventilation, pression artérielle…) réglables, pouvant évoluer sous l’influence des décisions thérapeutiques ou des interventions des étudiants.
De tels simulateurs permettent de reproduire le fonctionnement d’un bloc opératoire virtuel, d’une salle de réveil, de réanimation, ou d’urgence. Tout y est vrai, sauf le patient (voir photo) !
On peut s’y exercer à des procédures techniques ou, surtout travailler, l’entraînement multidisciplinaire (« team training ») : travail avec anesthésistes, infirmiers anesthésistes, panseurs, infirmiers.
Ce point, très peu développé dans le cursus des jeunes chirurgiens, est fondamental, car directement corrélé à la qualité des soins.
Les jeux sérieux ou « serious games » .
Les « serious games » sont des programmes informatiques ludiques, pourvus ou non d’un composant hardware significatif, possédant un objectif à atteindre et un système de scores, et permettant aux étudiants d’acquérir des connaissances ou compétences techniques utiles. L’étudiant est représenté par un avatar, et interagit avec un environnement virtuel et d’autre(s) individu(s) figurés par autant d’avatars.
Ces « serious games » sont très largement utilisés dans les industries de services (banques, assurances…) et pour l’entraînement des militaires.
On peut distinguer schématiquement trois types de « serious games ».
• Les jeux vidéo récréatifs commerciaux utilisés à une fin médicale : de tels jeux sont employés notamment en anesthésie pédiatrique (réduction de l’anxiété préanesthésie) et dans la prise en charge des soins aux brûlés (réduction de la douleur et des mouvements durant le débridement).
• Les jeux vidéo commerciaux, spécifiquement produits pour des indications médicales : de multiples programmes sont disponibles pour le diabète, l’asthme, la douleur lors des soins aux brûlés, la gestion du cancer chez les enfants et les adultes jeunes... Deux d’entre eux ont démontré un impact objectif en termes de qualité des soins dans la prise en charge du diabète de l’enfant et du cancer de l’enfant et de l’adulte jeune.
• Les « serious games » spécifiques à la formation des personnels de santé : il en existe quelques-uns dédiés à l’entraînement des chirurgiens, comme par exemple la « Virtual Operating Room », le « Total Knee Arthroplasty Game » ou le « Off-Pump Coronary Artery bypass Game ». Les données objectives montrant leur efficacité sont encore parcellaires.
De façon très intéressante, l’utilisation de jeux vidéo à visée récréative pourrait avoir un impact sur le niveau de performance des jeunes chirurgiens sur simulateurs. Plusieurs études montrent que les jeunes chirurgiens utilisant largement les jeux vidéo du commerce à visée récréative gagnent en performance sur des simulateurs de laparoscopie ou de gastroscopie : rapidité d’apprentissage, rapidité du geste, moins d’erreurs. Toutefois, ces résultats sont inconstants, et en particulier non retrouvés en chirurgie ORL, chirurgie robotique et simulateur de coloscopie. De tels résultats soulèvent une question fondamentale : s’agit-il d’une simple association ou d’une relation de cause à effet ? L’étude de M.K. Schlickum et coll. répond partiellement à cette problématique et conclut à une probable causalité. Expérimentalement, l’utilisation des jeux vidéo permet de développer l’attention et la mémoire visuelle et d’améliorer la vitesse de réponse à une tâche impliquant la mémoire visuelle, toutes qualités importantes en cœliochirurgie.
En conclusion, les « serious games » méritent sûrement une place dans l’apprentissage de la chirurgie, qui reste à préciser. Les données expérimentales préliminaires, ainsi que leur coût, militent en ce sens.
La simulation, sous toutes ses formes, devrait avoir une place croissante dans l’apprentissage de la chirurgie. Il existe maintenant des preuves objectives de son impact sur la qualité des soins. Son impact éthique est évident. Les points en suspens demeurent les modalités (approche complémentaire des trois aspects mentionnés), l’intégration dans un curriculum de formation, et la faisabilité (coûts en termes d’investissement et surtout de personnels). Elle devrait également avoir un impact majeur en termes de DPC.
* Centre de simulation médicale, faculté de médecine de Nice Sophia-Antipolis.
Lien d’intérêt : aucun.
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