En dépit de l’amélioration des connaissances sur la physiopathologie de l’urémie, d’une prise en charge mieux adaptée et de progrès techniques considérables, la dialyse conventionnelle demeure entachée d’une forte morbimortalité et se doit d’évoluer vers une méthode plus efficace et mieux tolérée.
L’Hémodiafiltration (HDF) apparaît dans ce contexte la réponse thérapeutique la plus avancée techniquement et la mieux adaptée aux besoins des patients rénaux : en associant une composante convective à l’hémodialyse haute perméabilité, l’HDF accroît de façon significative l’épuration des toxines urémiques de moyen et haut poids moléculaires impliquées dans les complications de l’urémie chronique ; en utilisant un dialysat ultrapur, l’HDF améliore l’hémocompatibilité globale du traitement extracorporel et réduit l’inflammation et les risques associés.
Du concept au traitement.
Jusqu’en 2006, l’HDF était considérée comme une méthode quasi-expérimentale réservée à des unités de référence et s’adressant à des patients sélectionnés. Bien que de nombreux travaux rapportaient régulièrement une sécurité équivalente, une meilleure tolérance et des performances supérieures à celles de l’hémodialyse conventionnelle, le développement de l’HDF demeurait limité. Stimulés par les résultats cliniques encourageants et poussés par une communauté médicale enthousiaste, les industriels de la dialyse ont su développer un appareillage spécifiquement adapté (traitement d’eau, moniteurs-générateurs spécifiques et hémodiafiltres) rendant l’utilisation de l’HDF aussi simple et sûre que l’hémodialyse conventionnelle. Parallèlement, l’acceptation clinique progressivement croissante de l’HDF a conduit les autorités sanitaires, et les sociétés savantes françaises et européennes à élaborer une réglementation encadrant le développement de l’HDF par le développement de décrets spécifiques et de référentiels de bonnes pratiques cliniques et microbiologiques (1).
En 2006, une étape supplémentaire fut franchie avec la première étude observationnelle internationale de grande échelle développée par DOPPS rapportant un bénéfice clinique marqué par une mortalité réduite de 33 % avec l’HDF à haute efficacité représentée par des volumes de substitution élevés (15-24 litres par séance).
Du traitement au standard thérapeutique.
Les résultats de l’étude DOPPS ont suscité beaucoup d’attention et ont généré plusieurs études européennes prospectives randomisées. Quatre études multicentriques ont été ainsi développées comparant l’efficacité de l’HDF à l’HD : une aux Pays-Bas (CONTRAST), une en Turquie (Turkish HDF Study), une en Espagne (ESHOL) et enfin une en France (HDF-PHRC sujets âgés). Les résultats de ces études ont déjà fait l’objet de nombreuses discussions au sein de la communauté scientifique. Les deux premières études, CONTRAST et Turkish HDF Study, n’ont pas permis de prouver la supériorité de l’HDF sur l’objectif primaire, à savoir la mortalité (toutes causes mais aussi cardiovasculaires), mais en revanche ont confirmé le rôle bénéfique des volumes ultrafiltrés les plus élevés (> 21 litres/séance) sur la réduction de mortalité dans leur analyse secondaire incluant les principaux facteurs confondants. À l’opposé, la troisième l’étude ESHOL a démontré un effet bénéfique de l’HDF, marqué par une réduction de mortalité de 30 % sur l’objectif primaire pour des volumes ultrafiltrés médians supérieurs à 22 litres par séance. De façon intéressante, l’analyse secondaire portant sur des volumes convectifs supérieurs retrouve également une réduction de mortalité, d’autant plus importante que les volumes sont élevés, suggérant un effet dose-dépendant de l’HDF sur la survie des patients. La quatrième étude HDF-PHRC, en cours d’analyse, indique que l’HDF réduirait la mortalité également des sujets âgés.
L’analyse poolée des quatre études européennes à l’initiative du groupe de travail EUDIAL, regroupant 2 793 patients suivis pendant 2 ans et demi sur le principe d’une méta-analyse des données personnelles des participants (IPD), visant à supprimer les biais potentiels de chacune des études, confirme l’effet protecteur de l’HDF et objective une réduction globale de mortalité toutes causes de 14 et de 23 % pour celles spécifiquement cardiovasculaires. L’effet bénéfique de l’HDF est là encore d’autant plus marqué que le volume ultrafiltré est élevé.
La dernière étude qui rapporte l’expérience Française à partir des données du registre national REIN (28 407 patients dont 5 526 traités par HDF soit 19,5 %) confirme l’effet protecteur de l’HDF, marqué par une réduction du risque relatif global de mortalité de 16 et, de 27 % pour les causes cardiovasculaires (2). Cette étude rapporte deux éléments originaux : les patients traités exclusivement par HDF ont une mortalité significativement plus basse que ceux n’ayant été traités que temporairement sur la période (34 contre 23 %) ; la prévalence de l’HDF dans les centres est inversement associée au risque de mortalité globale et cardiovasculaire (pour 100 % d’utilisation d’HDF, mortalité réduite de 23 et 34 %).
Du standard thérapeutique à l’optimisation et à la personnalisation de la dose convective
Si le volume ultrafiltré par séance apparaît de façon de plus en plus évidente comme le facteur essentiel et indépendant de l’amélioration de la survie des patients traités par HDF, deux questions restaient non résolues : quel est le volume convectif optimal requis pour améliorer les résultats ? Faut-il appliquer un facteur de normalisation au volume convectif pour tenir compte des spécificités métaboliques individuelles ?
Une première étude internationale, conduite dans une cohorte de 2 292 patients rénaux incidents traités par HDF postdilutionnelle pendant 2 ans au minimum, a eu pour objectif essentiel d’analyser la relation du volume ultrafiltré cumulé hebdomadaire et la survie relative des patients traités (3). Les outils épidémiologiques et statistiques les plus avancés (appariement par score de propension, analyse statistique de régression logistique selon le modèle de Cox, fonction spline cubique de courbe) furent utilisés afin de s’affranchir des principaux biais liés aux études rétrospectives. Trois conclusions intéressantes en ressortent : d’une part, un effet bénéfique de l’HDF marqué par un gain significatif de vie directement lié au volume ultrafiltré indexé à la surface corporelle des patients ; d’autre part, une relation continue de type sigmoïde lie le gain de vie au volume ultrafiltré hebdomadaire ; enfin, une relation continue de type sigmoïde inverse lie les biomarqueurs d’intérêts (B2M et CRP) et le volume ultrafiltré hebdomadaire, et le gain de vie. Ces résultats indiquent que la dose convective hebdomadaire, représentée par le volume ultrafiltré cumulé, est directement impliquée dans la réduction du risque global et spécifique de mortalité.
Une deuxième étude poolée européenne regroupant 2 793 patients rénaux prévalents provenant de 4 études randomisées, a analysé les effets de l’HDF postdilutionnelle par rapport à ceux de l’HD conventionnelle en prenant en considération plus spécifiquement les caractéristiques anthropométriques individuelles. L’effet des deux modalités thérapeutiques sur la mortalité globale et spécifique d’origine cardiovasculaire a été analysé dans le cadre d’une méta-analyse reprenant les données personnelles des patients. Dans une première analyse, la relation entre la mortalité relative et le volume ultrafiltré total par séance normalisée à 1,73 m2 est analysée selon un modèle de régression logistique de Cox ajusté pour les principaux facteurs confondants (4). De façon globale, l’HDF est associée à une réduction significative du risque de mortalité toutes causes confondues de 14 et de 23 % pour les causes cardiovasculaires. De façon intéressante, l’effet bénéfique est d’autant plus important que le volume convectif est élevé. Ainsi, pour le tertile supérieur (> 23 l/1,73 m2), la mortalité est réduite de 22 et de 31 % respectivement pour ce qui est de la mortalité globale et spécifique cardiovasculaire. Dans une deuxième analyse, la relation mortalité et volume ultrafiltré a été explorée en considérant ou non, un facteur de normalisation individuel (poids sec, eau totale, indice de masse corporel) [5]. La mortalité globale est réduite pour le tertile supérieur des volumes ultrafiltrés de 35, 26 et 29 % respectivement pour la valeur brute et celles normalisées par la surface corporelle et l’eau totale. La normalisation par rapport au poids sec ou à l’indice de masse corporelle n’apporte pas de valeur additive aux résultats.
Conclusion et perspectives
L’HDF a atteint sa phase de maturité clinique. Elle permet dès à présent le traitement quotidien de plus de 67 000 patients en Europe (soit près de 18 % des patients dialysés) avec une progression de 4 à 6 % par an. L’ensemble des études confirme la sécurité de la méthode et réduit la mortalité globale et cardiovasculaire de 20 à 30 %, dans la mesure où les bonnes pratiques cliniques sont respectées et la dose convective optimale est administrée.
Faut-il attendre d’autres preuves cliniques ? Est-il logique de faire perdre des chances de survie aux patients actuellement dialysés ? D’ores et déjà, cela n’apparaît plus raisonnable d’un point de vue médical, ni même justifié d’un point de vue technique. En revanche, d’autres questions doivent être explorées concernant notamment, la reconnaissance des mécanismes protecteurs et le rôle des hauts volumes convectifs, l’identification des patients à hauts risques pouvant en bénéficier, l’analyse coût-efficacité et l’impact sur la qualité de vie ou le fardeau de la maladie rénale.
(1) Chief Medical Officer, Centre of Excellence Medical, FMC EMEA-LA, Bad Homburg, Germany
(2) Professeur honoraire, université de Montpellier, UFR Médecine, Montpellier
(1) Décrets et circulaires DHOS de 2002 et 2007 ; European Best Practice Guidelines
(2) Mercadal L et al. Am J Kidney Dis. 2015 ;pii :S0272-6386(15)01436-5
(3) Canaud B et al. Kidney Int. 2015 ;88(5):1108-16
(4) Peters SA et al. Nephrol Dial Transplant. 2015 ;pii :gfv349.
(5) Davenport A et al. Kidney Int. 2015 ;doi :10.1038/ki.2015.264
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