Dans l’interview donnée au Quotidien du Médecin et parue le 13 avril 2017, le futur président de la République s’était engagé à rendre « publique sans exception et sans hésitation toute information susceptible d’avoir des conséquences quant à (sa) capacité de diriger le pays. » Mais « cette situation ne s’est jamais présentée à ce stade », nous communique le pôle presse de l’Élysée. Voilà pourquoi aucun bulletin de santé n’a été publié depuis son élection. Et pas de publication à attendre jusqu’à nouvel avis. En même temps, pour parler en macronien dans le texte, Emmanuel Macron nous avait bien annoncé la publication de son bulletin de santé : « Je suis en excellente santé, nous avait-il assuré comme nous l’interrogions sur son hygiène de vie, attendez un peu de lire mon premier bulletin de santé ! » (notre édition du 18 avril 2017). On attend…
C’est que le sujet est compliqué : « il est normal que les Français soient informés, dans des proportions raisonnables, de la santé du président, qui doit être en capacité de remplir sa charge », nous disait encore le président. Et en même temps, ajoutait-il, la santé du président relève pour une grande part de l’intime (…) Je m’appliquerai le droit que je reconnais à chaque Français de bénéficier du secret médical. »
Embarras à la République en marche.
Les élus LREM (République en marche) se montrent embarrassés par cette stratégie du « pas de nouvelle, bonne nouvelle ». La plupart n’ont pas souhaité nous répondre. « Adressez-vous au service de presse de l’Élysée », nous conseille le Pr Jean-Louis Touraine. « Je suis personnellement pour la transparence, franchement, c’est un sujet qui mérite réflexion », remarque pour sa part le Dr Eric Alauzet (Doubs, LREM), sans cacher sa « surprise devant l’option du silence ». Même expectative de la part du Dr Jean-Pierre Pont (Pas-de-Calais, LREM), qui trouve « assez regrettable » le choix présidentiel. Mais, ajoute-t-il, nous-mêmes, députés, nous sommes astreints à la transparence financière, mais pas sur notre santé, c'est dommage."
« La question est entièrement posée depuis l’Ancien régime, observe le Dr Didier Martin (Côte d'Or, LREM), avec le corps du roi qui n’appartenait pas au monarque, ses incidents de santé étaient alors exposés devant la cour. Aujourd’hui, nous avons un jeune président, la question n’est donc pas pressante. Et justement, c’est peut-être être le bon moment pour y réfléchir et statuer à froid plutôt que lorsqu’éclate une crise. »
Ce que ne nous dit pas Emmanuel Macron, c’est que les expériences des bulletins de santé réguliers ont souvent été ratées. Pour ne pas dire comme le Pr Bernard Debré (LR), « des catastrophes absolues. Rappelez-vous Pompidou, Mitterrand et même Chirac ! (lire ci-contre) De toute façon, s’il y avait un problème sérieux, le président le cacherait. Donc, le choix du silence fait par Macron ne me choque pas plus que ça, d’autant que nous avons affaire à un homme jeune. »
« Avec lui, renchérit le Pr Guy Vallancien, nous ne sommes plus dans la donne des vieux présidents exposés aux risques de neuro-dégénérescence, avec des troubles cognitifs et décisionnels qui peuvent altérer sa politique. On n’a pas besoin d’aller fouiller dans son PSA, sa glycémie ou ses globules pour exciter les médias, le silence est la meilleure option tant que le président fait l’objet d’un suivi médical. » « Il faut s’en tenir au respect absolu du secret médical et l’appliquer au président comme à chaque citoyen », estime encore l’ancien ministre (PS) Jean-Marie Le Guen.
Jupiter au-dessus de ses prédécesseurs ?
Les avis sont partagés. « Justement, c’est parce qu’il est jeune et en pleine forme que le choix du président m’étonne, réagit au contraire le Dr Jean-Pierre Door, député LR du Loiret. Pourquoi se soustraire à une règle non écrite qui était entrée dans les mœurs de la République depuis plusieurs décennies ? Jupiter est-il au-dessus des pratiques de ses prédécesseurs ? »
« C’est d’autant plus regrettable que le président a fait campagne sur le thème de la République exemplaire, rappelle le Dr Gérard Bapt, ex-député PS. Les Français ont le droit de savoir si celui à qui ils ont donné pouvoir d’appuyer sur le bouton du feu nucléaire va bien. Cette information est un bien public et je suis très très étonné qu’Emmanuel Macron en prive la Nation. »
Jusqu’au prochain drame.
Faut-il alors constitutionnaliser la question ? C’était la proposition qu’avait faite en 1995 par un comité de juristes et de médecins parmi lesquels le Pr Guy Vallancien, membre du conseil scientifique de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques. « Nous préconisions que trois experts (interniste, neurologue et psychiatre) évaluent régulièrement les capacités du président, sans publier un bulletin de santé à chaque fois, mais en saisissant, si besoin, le Conseil constitutionnel pour activer la procédure d’empêchement selon l’article 7 de la loi fondamentale. On serait ainsi prémuni. C’est désespérant de voir qu’on n’a toujours pas donné suite à cette proposition. Personne n’a le courage de tirer les leçons des drames du passé. Jusqu’au jour où éclatera un nouveau drame. »
Mais là encore, les avis sont partagés. Pour le Pr Debré, « ce serait une bêtise de confier à trois médecins le pouvoir d’évaluer le seuil des troubles au-delà duquel un président, qui, par nature, est un homme exceptionnel, n’est plus en capacité de gouverner le pays. Où allez-vous mettre le curseur rédhibitoire ? » L’urologue ancien ministre parle d’expérience. « Après sa seconde intervention en 1994, François Mitterrand m’a confié : « je n’en peux plus, je vais démissionner. » Et c’est moi qui l’en ai dissuadé en lui expliquant que s’il renonçait, il précipiterait la fin. Pour vivre, vous devez continuer à nous emmerder, lui avais-je lancé. Mais comment aurait statué le triumvirat de Vallancien ? »
Évoquant les cas de Mitterrand, mais aussi de Pompidou et de Chirac, Emmanuel Macron nous avait déclaré : « La situation n’est pas identique pour ces trois chefs d’État, j’ajoute qu’elle relève pour une grande part de l’intime. Rien ne permet de dire rétrospectivement si cela (leurs maladies - N.D.L.R.) a pu avoir des conséquences pour le pays, mais à l’évidence cela trouble les Français, et je le comprends. J’observe que si nous progressons en matière de transparence, il reste encore du chemin à parcourir. » À suivre, donc.