En près de soixante-dix ans, cette île-Etat de 719 km² s’est hissée au rang des pays les plus prospères au monde, et elle est souvent citée comme le meilleur système de santé au monde [1]. Ce qui nous frappe en premier, c’est la coexistence d’un État stratège et puissant, avec un environnement des affaires ouvert et très incitatif. La santé y est considérée comme une mission régalienne de l’État, et fait l’objet d’une planification à long terme intégrée à toutes les politiques publiques. Le gouvernement est garant d’une stratégie nationale qui inclut la santé, et définit des priorités qui s’imposent à l’ensemble des opérateurs du système, publics et privés.
Efficacité dans la régulation
Deuxième élément remarquable : le volontarisme et le pragmatisme dans l’adaptation de l’organisation de l’offre de santé sur l’île, depuis 1983, pour gagner sans cesse en efficacité dans la régulation, au regard de l’évolution des enjeux de santé. L’offre de santé insulaire est aujourd’hui organisée en trois clusters qui constituent chacun un continuum de l’offre de santé (l’île était organisée en deux clusters en 2000, puis six en 2007 pour répondre aux objectifs de santé publique en lien avec la planification stratégique nationale). Ces trois clusters sont adossés à une agence pour l’intégration des soins, créée en 2009. Elle dispose d’une antenne dans chaque hôpital avec des « case managers », coordinateurs des parcours chargés de faciliter les sorties et de prévenir les hospitalisations des « frequent flyers » (patients récurrents). Ils se déplacent si besoin pour évaluer le domicile des patients et favoriser le maintien à domicile supervisé par les centres communautaires de proximité [2].
Couverture maladie universelle
Troisième caractéristique singulière : le gouvernement singapourien propose aux résidents un système de protection sociale fondé sur un double principe : celui de la responsabilité individuelle et celui de l’accès à la santé pour tous. Les deux piliers du système sont la solidarité (familles et communautés sont incitées à jouer un rôle majeur) et sur une couverture maladie universelle fondée sur les « 3M ». En complément du socle de subventions gouvernementales (pouvant aller jusqu’à 80 % du coût de la santé), un programme d’épargne obligatoire MEDISAVE impose à chaque salarié de verser jusqu’à 10 % de son salaire sur un compte dédié aux dépenses de la santé. Ce compte est abondé par l’État et l’employeur, avec exonération d’impôts, et son usage est très encadré (par exemple, il ne permet pas de financer l’accès aux soins primaires pour en éviter l’inflation). À cette épargne obligatoire s’ajoute MEDISHIELD, régime d’assurance destiné à couvrir les accidents de la vie. Chaque résident est inscrit à ce régime d’assurance complémentaire, fondé sur un principe de franchise et de co-paiement. MEDIFUND est quant à lui un programme d’assistance destiné à couvrir les dépenses de santé des résidents les plus démunis, sous conditions. Le reste à charge après subvention n’étant pas plafonné (en 2013, les dépenses privées constituaient 69 % des dépenses de santé dont 88 % à la charge de l’utilisateur via les différents mécanismes mis en place), des plans d’assurances privés s’ajoutent à ces régimes gouvernementaux avec cofinancement par les employeurs, à l’image des programmes proposés par les assureurs américains.
400 000 patients étrangers par an
Le niveau de prise en charge financière se traduit automatiquement dans les niveaux d’accueil et de services proposés. Ainsi, les hôpitaux publics proposent 4 classes de services (A, B1, B2 et C) permettant l’accès à une chambre particulière ou l’hospitalisation dans des chambres de 6 lits et plus. L’attention portée à l’expérience patient a conduit certains hôpitaux publics de référence à développer des offres communautaires, avec la création d’une clinique japonaise, d’une clinique chinoise, ou encore d’un centre international. Ce dernier gère les touristes médicaux avec par exemple la prise en charge de leurs formalités d’entrée dans l’île puis d’admission. Les 400 000 patients étrangers qui viennent se soigner chaque année à Singapour constituent en effet une cible privilégiée.
L’importance accordée à la valorisation de l’expérience patient s’accompagne d’investissements pour promouvoir aussi l’expérience des professionnels et ainsi les attirer et les fidéliser. Ces démarches s’inspirent largement des travaux nord-américains en matière « d’hôpitaux magnétiques » qui théorisent l’importance du rôle des infirmiers dans la performance et l’attractivité des établissements de santé (« Happy staff, happy patients »).
Continuum
Enfin, Singapour surprend aussi par sa capacité à favoriser des continuums. Tout d’abord entre les établissements et leur environnement immédiat, pour éviter une rupture entre la vie quotidienne et les soins. Ainsi, hôpitaux et cliniques, à l’architecture ouverte sur l’extérieur, intègrent des espaces de vie pour les patients, leurs accompagnants et pour les professionnels. Tous cheminent entre unités de soins, lieux de détente, espaces verts, restaurants, et boutiques.
Ensuite, en garantissant la complémentarité entre soin, recherche, innovation et formation continue. Les programmes de recherche sont focalisés pour permettre une masse critique d’investissements nationaux et internationaux. Avec un continuum entre recherche fondamentale, recherche appliquée, transfert technologique et organisationnel, et valorisation commerciale systématique.
Ainsi, l’ouverture en mai 2019 d’un centre dédié à l’innovation (13 étages, 10 salariés à plein temps) adossé au plus grand hôpital de l’île illustre ce continuum : des salles de simulation, des partenariats avec des universités et centres de recherche internationaux, des salles de formation, et des espaces collaboratifs ouverts aux professionnels, patients et entrepreneurs. L’objectif est d’y repenser les processus, les organisations et les métiers de façon incrémentale non pas pour le patient, mais avec lui.
Île de contrastes, Singapour nous interpelle par son volontarisme et son pragmatisme. Ce dragon asiatique n’échappe pourtant pas aux défis auxquels les pays occidentaux sont confrontés (vieillissement de la population, développement des maladies chroniques,) et qui vont inéluctablement augmenter le volume des dépenses de santé. L’État singapourien a déjà pris la mesure de ces défis et s’est fixé une nouvelle ambition pour les années 2020 : « Bonne santé en proximité pour davantage de valeur créée pour tous, notamment pour les plus fragiles ».
[1] Si Singapour dépense chaque année autant pour la santé que la France, cela ne représente que 4,9 % de son PIB, contre 11,5 % pour la France. Difficile pourtant de comparer notre pays et Singapour, qui, avec ses 5,5 millions d’habitants (dont 30 % d’expatriés), correspond à la petite couronne parisienne.
[2] Les soins premiers sont assurés par 1 500 médecins et cabinets généralistes privés, auxquels s’ajoutent 18 polycliniques. Les soins aigus sont pris en charge à 80 % par 16 hôpitaux et centres nationaux spécialisés publics, tandis que des hôpitaux communautaires de proximité (essentiellement privés) prennent en charge les soins non aigus. L’intégration des parcours est favorisée par un principe de cogestion entre les hôpitaux publics de référence et les hôpitaux de proximité, ce qui facilite évidemment la gestion de l’aval.
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