Quel a été l’événement qui vous a conduit à cette proposition de loi ?
Quelles sont les problématiques à l’origine de la crise hospitalière qui expliquent le départ des soignants et par voie de conséquence la fermeture de lits et la dégradation des conditions de travail ? Les rémunérations et la qualité de vie au travail.
Au cours de la commission d’enquête sur l’hôpital public dont j’étais le président et qui a rendu l’année dernière son rapport, il est apparu que le Ségur de la santé avait apporté des réponses – certes incomplètes – sur la question des salaires. À cet égard, un Ségur 2 se met en place même s’il est plus diffus notamment sur le travail de nuit, du week-end, des astreintes, des gardes. Pour autant une amélioration peut être notée. En revanche, nous avons entendu à plusieurs reprises, exprimé par différentes catégories de soignants, infirmières, internes, le récit d’une dégradation des conditions de travail. Au cœur de leurs propos, revenait souvent un constat, celui de ne plus être bien traitant avec les patients. Et même, certains reconnaissaient une maltraitance.
Qu’y a-t-il de plus violent pour un soignant dans son métier que cette sensation de maltraitance se substituant à celle d’apporter du mieux-être ? C’est devenu un ressort principal de la perte d’attractivité de l’hôpital. Ce constat n’est pas dressé par les sénateurs, les parlementaires mais par les acteurs eux-mêmes. Si on ne les écoute pas, si on n’apporte pas de réponse aux soignants hospitaliers, nous serions alors au-dessous de nos responsabilités si l’on est un décideur en santé. C’est la base de la démocratie, quel que soit le secteur. En réaction, je me suis demandé ce que l’on pouvait apporter concrètement dans la délibération parlementaire à l’amélioration de l’hôpital public. Il y a bien sûr le cadrage budgétaire discuté lors de la présentation du PLFSS. Le gouvernement a souligné comment il était historiquement élevé. Il est en fait historiquement en dessous de l’inflation. Alors qu’au cours des années où Marisol Touraine était à la tête du ministère de la Santé, l’Ondam a toujours été au-dessus de l’inflation. Cela raconte les violences qui sont exercées à l’encontre de l’hôpital. Mais revenons à notre proposition de loi. Le nœud de la qualité de vie au travail, pour redonner du temps aux soignants est bien la question du nombre de patients par soignant. Certes, il n’y a pas théoriquement de ratio à l’exception des ratios sécuritaires dans les soins critiques par exemple. Mais dans la vraie vie à l’hôpital, il y a des ratios en permanence. Pour un directeur d’hôpital, la masse salariale est le premier poste budgétaire. Lorsqu’il faut serrer la vis, l’effort se porte en priorité sur le nombre de soignants.
Votre proposition de loi rapporte également le succès d’expériences étrangères.
Nous sommes passés, sous l’influence du référentiel Anap et des Copermo, d’une infirmière pour une dizaine de patients, ce qui est le cas dans les pays étrangers comparables à la France, à une infirmière pour quinze malades. Ce mouvement est bien à l’origine de la fuite des soignants. Cette problématique, et ce n’est pas étonnant, est observée dans de nombreux pays de l’OCDE. Tout simplement parce que la maîtrise des dépenses de santé est une thématique partagée. Et les mêmes recettes ont été appliquées par tous : nous étions dans le sillage de l’hyperlibéralisme économique. La page est en train d’être tournée à l’échelle de la planète, même s’il y a encore des partisans en France de ce type de politique au plus haut sommet de l’État. Mais revenons aux expériences étrangères.
La Californie enregistrait un taux de burn-out des infirmières à l’hôpital très élevé. Les autorités ont réagi en instaurant des quotas. Cela ne se met pas en place du jour au lendemain. Dans cet État américain, cette politique a nécessité un temps de préparation de plus de sept ans avant d’être déployée sur tout le territoire. Car c’est un vrai changement de paradigme !
Les fédérations hospitalières ne partagent pas votre enthousiasme.
Si l’on prend l’exemple de la FHF, au cours des auditions, ses responsables ont mis en avant la complexité d’une mise en œuvre trop rapide. Dans ce cas, il faudrait fermer des lits. Je souscris à cette affirmation. Mais la proposition de loi a évolué au fil du travail parlementaire. Nous avons instauré une procédure de quatre années avant une application. La Haute Autorité de santé (HAS) disposera de deux ans pour mener les études. Deux ans supplémentaires seront accordés aux établissements avant la mise en œuvre de ces quotas. Une autre crainte a été exprimée par la conférence des directeurs, celle de la responsabilité. Là encore, cette demande a été entendue. Une disposition prévoit le transfert de la responsabilité des hôpitaux aux agences régionales de santé. Arnaud Robinet (président de la FHF) après le vote au Sénat a modifié son opinion sur cette question. Il reconnaît l’intérêt d’aller dans cette direction tout en soulignant que les problèmes ne sont pas tous réglés. J’en conviens aisément. Mais si cette loi n’est pas votée, on ne ramènera pas les infirmières à l’hôpital, comme l’a exprimé Thierry Godeau* lors de son audition au Sénat.
Lorsque l’on réintègre le critère de la qualité des soins dans l’allocation de moyens, le paradigme est changé en profondeur. Cela exige du temps, la modification des circuits de décision, comme l’ont exprimé les directeurs de soins. Notre technostructure a été très performante dans l’application des ratios financiers depuis 2010. Je ne doute pas de leur efficacité quant à l’intégration de ratios reposant sur la qualité et la sécurité des soins.
Avez-vous évalué le coût de cette réforme ?
Je ne dispose pas des outils techniques pour en calculer le montant. Dominique Méda dans une chronique du journal Le Monde en estimait le coût à trois milliards d’euros. C’est peut-être un peu élevé. Rappelons le montant des exonérations des cotisations sociales/allocations familiales sur les salaires supérieurs à 1,7 Smic. Il s’élève à 3 milliards d’euros par an. Selon le Conseil d’analyse économique, ces exonérations seraient inefficaces. J’ai proposé leurs suppressions. Un député l’a également proposé à l’Assemblée nationale. Il s’agit de Sacha Houlié, président de la commission des lois (Renaissance). Mais il a retiré son amendement sous pression du gouvernement.
Le ratio serait donc de 10 malades par soignant.
On ne peut envisager un ratio unique qui s’appliquerait à l’ensemble des services de MCO. D’où ce travail confié à la HAS afin de fixer une fourchette par spécialité. Dans un service à activité standard, ce qui est un concept difficile à préciser, avec une infirmière pour 13 à 15 malades, il faudra revenir à un niveau plutôt à 10, voire à 8. L’important est de donner une perspective. Cela change tout. Aujourd’hui, on assiste davantage à la poursuite de la dégradation. Si l’on met en place ces ratios, c’est un facteur de maintien pour les personnels en place et de retour pour ceux qui ont quitté l’hôpital. Lors du débat dans l’hémicycle, j’ai évoqué l’étude de l’Agence d’emploi des métiers de santé (Agems) réalisée auprès d’un millier d’infirmières intérimaires. On les a interrogées sur les facteurs qui les conduiraient à envisager un retour à l’hôpital. En premier est citée la fin des plannings bousculés en permanence, en second l’instauration de ratios. Le niveau de rémunération se place en troisième position seulement.
Je ne vois pas d’autre solution que d’inverser cette logique. En cas de non-application, la crise de l’hôpital public se poursuivra avec une réduction de son périmètre d’activité au profit du secteur privé lucratif. Cette loi entraîne une responsabilité de l’exécutif. Elle a reçu 257 voix. Seuls 16 ont voté contre sur 348 sénateurs. Ce résultat n’était pas acquis lorsque j’ai déposé le texte. Pour que la loi soit appliquée, il faudra financer ces nouveaux postes dont certains sont vacants. Cette loi donnerait le signal que l’on réinvestit dans le service public hospitalier.
* Président de la Conférence nationale des présidents de CME des centres hospitaliers.
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