Selon le palmarès dressé par l’Unicef au début du mois, la France fait partie du « top ten » mondial, des pays ayant enregistré la plus forte progression de la rougeole en 2018, avec 2913 cas recensés contre 519 l’année précédente.
« Cette résurgence de la rougeole observée depuis fin 2017 se poursuit actuellement, alerte le Dr Daniel Levy Bruhl (Santé publique France). Et si l’on est certes en dessous des chiffres de 2018, on continue à avoir des foyers actifs dans plusieurs endroits, avec peu d’espoir de voir l’épidémie s’arrêter dans les semaines à venir d’autant que la rougeole est classiquement considérée comme une maladie qui augmente au printemps ».
Selon le dernier bilan de Santé publique France daté d'aujourd'hui, l’épidémie semble d’ailleurs s’accélérer avec 489 cas déclarés depuis le 1er janvier 2019 (soit 84 de plus en une semaine), dont 148 (30 %) hospitalisés (8 en réanimation), 42 (9 %) compliqués de pneumopathies et 1 décès par encéphalite. Ces derniers jours, un nouveau foyer épidémique a été identifié dans une école privéedu Var, à Saint-Tropez. 16 cas ont été signalés dans l'école Sainte-Anne. Parmi eux, les trois quarts des enfants n'auraient pas été vaccinés. Seul un enfant aurait reçu les deux doses recommandées.
Des couvertures vaccinales toujours insuffisantes
Comment expliquer ces mauvais chiffres ? Pour les autorités sanitaires, le défaut de vaccination est le principal coupable. Pour preuve : « la très grande majorité des cas (91 %) surviennent chez des patients non ou mal vaccinés », souligne le Dr Lévy Bruhl.
Du fait de sa forte contagiosité (taux de reproduction compris entre 15 et 20), la rougeole nécessite un taux de vaccination élevé pour permettre son élimination, estimé à 95 % à deux doses. Or actuellement en France, les couvertures à 2 ans restent inférieures à cet objectif, atteignant 90 % pour une dose et 80 % pour deux doses. « Ce qui est intéressant c’est que l’on se rend compte que l’on finit par atteindre ce fameux seuil de 95 % au moins pour la première dose mais plutôt dans la tranche d’âge des 5-6 ans, comme si certains parents attendaient que leur enfant soit suffisamment solide pour le vacciner » regrette le Dr Lévy Bruhl.
Le principal point noir concerne les adolescents et les jeunes adultes. Dans cette population, une enquête de séroprévalence récente évalue à près de 9 % la proportion de 18-32 ans sans anticorps contre la rougeole. « Tant que l’on aura pas réussi à combler ce trou immunitaire, ces générations d‘adolescents et de jeunes adultes n’ayant jamais rencontré la rougeole et ayant échappé à la vaccination resteront un réservoir potentiel pour de nouvelles résurgences épidémiques dans les années à venir ».
5A contrario, suffira-t-il de vacciner 95 % de la population cible pour arrêter le cycle de transmission ? Le Dr Levy Bruhl en est convaincu : « dans les états qui ont maintenu pendant très longtemps des couvertures supérieures à 95 % , comme les pays scandinaves , il n’y a plus de circulation du virus même quand des cas importés surviennent. Les modèles statistiques ayant fixé le seuil de 95 % sont donc vérifiés ! »
Quid de l’efficacité du ROR ?
La survenue de cas de rougeole chez des sujets correctement vaccinés interroge toutefois l’efficacité du ROR.Y a-t-il des sujets non répondeurs, la protection s’épuise-elle avec le temps, peut-il y a avoir des mutations du virus comme ce que l’on observe dans le grippe? « La protection n’est pas de 100 %, reconnaît Daniel Levy Bruhl, mais elle atteint 98 à 99 % à deux doses et 92 à 93 % à une dose, sans que l’on ait vraiment identifié de profil de patients non répondeurs ».
Concernant, la durée de protection, « plusieurs travaux récents suggèrent une baisse au bout d’environ 20 ans avec la possibilité de voir survenir d’authentiques rougeoles chez des gens vaccinés. Mais ce sont le plus souvent des rougeoles atténuées et bénignes qui ne sont pas en soit un obstacle à l’élimination de la rougeole ».
Quant à un éventuel mismatch entre vaccin et virus circulant, « le virus de la rougeole est particulièrement stable et il n’y a pas de virus mutant échappant à la protection vaccinale» .
Dès lors, « il n’y a aucune raison de ne pas arriver à éliminer la rougeole en France, conclut le Dr Levy Bruhl. Mais il faut pour cela vacciner 95 % des nourrissons et de rattraper ceux qui y ont échappé », insiste-t-il.
Pour les nourrissons, l’obligation vaccinale en vigueur depuis un peu plus d’un an devrait permettre d’atteindre cet objectif. Les adolescents et les jeunes adultes risquent d’être plus difficiles à toucher.
Dans ce contexte, « toute consultation avec ces jeunes patients, quel que soit le motif, devrait être l’occasion de s’enquérir de leur statut vaccinal et de proposer la vaccination au moindre doute… Le seul risque, en vaccinant quelqu’un de déjà immunisé est de gâcher une dose de vaccin ».
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