Le rêve est-il seulement une affaire privée relevant de l’intime et objet d’études pour les seuls psychanalystes ? Un sociologue a-t-il une légitimité pour s’emparer de ce sujet d’études ? Bernard Lahire dans son livre stimulant témoigne de l’intérêt à associer les compétences et donc les disciplines au risque de bousculer les dogmes. Le contenu du rêve par exemple n’est pas le produit du refoulement. L’inconscient constitué par les évènements refoulés dans l’enfance ne doit pas être la seule clé de décryptage. Tous les rêves ne se résument pas à la réalisation d’un désir à dimension sexuelle. Enfin les techniques d’entretien opérées par les sociologues se révèlent très fécondes pour comprendre un contenu. Mais ces critiques loin de remettre en cause l’apport de Freud témoignent de l’intérêt bien compris d’une vraie interdisciplinarité où sont réunis les apports des sciences humaines et des neurosciences. C’est aussi l’instrument pour nous ôter nos dernières illusions sur notre volonté qui s’exercerait au moins la nuit. Le rêve témoigne de l’emprise du social qui s’imprime au sein du rêve là où l’on s’imagine enfin libre. Mais si l’essai théorique ouvre de nouvelles portes remarquables par l’absence de jargon, le lecteur aspire sur un tel sujet à une écriture moins didactique. Daniel Bergez dans son bel ouvrage Peindre le rêve retrace comment le regard des peintres s’est adapté à l’esprit du temps. Pour autant, les arts et notamment la peinture ou le cinéma ont toujours joué avec l’illusion à la manière du rêve. Daniel Bergez rappelle comment Morphée dans Les métamorphoses d’Ovide est décrit comme un double du peintre, producteur d’illusions en imitant la réalité. Toute l’histoire de l’art porte en creux cette proximité avec la puissance créatrice du rêve. La religion est une autre source d’images entre rêve, apparition et révélations. L’Ancien et le Nouveau Testament avec le songe de Jacob ou Joseph qui interprète ceux de Pharaon sont à cet égard les premiers témoignages de la puissance de la tradition onirique dans la civilisation occidentale. Les artistes bien avant Freud ont compris comment le rêve ouvre sur le mystère et l'idée d’un inconscient. Mais ils ont dû surmonter l’obstacle de donner à voir l'invisible, l’immatériel. Daniel Bergez rejoint là Bernard Lahire qui met en avant l’une des grandes caractéristiques du rêve, le flux d’images, de sons. Plutôt que la peinture, le sociologue compare d’ailleurs le rêve à un film. La dimension visuelle du rêve avait d'ailleurs été reconnue par Freud : « Le rêve pense principalement en images. » On y regardera de plus près lors de nos prochains rêves.
Bernard Lahire, L’interprétation sociologique des rêves, éditions la découverte. 488 pages. 25 euros.
Daniel Bergez, peindre le rêve. 256 page relié sous jaquette, éd. Citadelles & Mazenod. 69 euros.
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