Pr Laurence Kessler : « Le diabète de la mucoviscidose a émergé avec l'augmentation de l'espérance de vie des patients »

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Publié le 06/02/2019

En trente ans, l'espérance de vie des patients atteints de mucoviscidose est passée de moins de 20 ans à plus de 50 ans. L'incidence du diabète, de seulement 2 à 3 % à l'âge de 10 ans, augmente progressivement avec l'âge des patients pour atteindre 50 % à l'âge adulte et, aujourd'hui, parmi les 6 000 patients en France, la moitié environ est diabétique. « C'est une maladie que nous avons découverte en même temps que nos patients », rapporte la Pr Laurence Kessler, avant de rappeler que la mutation du gène CFTR est responsable d'une perturbation des échanges ioniques cellulaires non seulement au niveau pulmonaire, mais aussi au niveau du pancréas exocrine, source de pancréatites à répétition, et des cellules bêtapancréatiques.

Insulinopénie, insulinorésistance et anomalies sur les incrétines

La physiopathologie du diabète de la mucoviscidose est très particulière. Elle associe en effet des anomalies de la sécrétion d'insuline, secondaires à l'impact direct des perturbations du canal chlore sur l'insulinosécrétion, à un état pro-inflammatoire et pro-oxydant et aux anomalies de la sécrétion des incrétines par insuffisance pancréatique exocrine. Cette insulinopénie est associée à une insulinorésistance, qui découle de l'inflammation chronique et des cures répétées de corticoïdes. À cela viennent s'ajouter les anomalies de sécrétion du glucagon, ce qui expose les patients à un risque accru d'hypoglycémies lors du traitement.

« Il est essentiel de dépister et prendre en charge ce diabète car il a un impact majeur sur la morbimortalité », souligne la Pr Kessler.

La meilleure prise en charge de l'atteinte pulmonaire, de la dénutrition et de l'insuffisance pancréatique exocrine dans les Centres de ressources et de compétences de la mucoviscidose (CRCM) est à l'origine de l'augmentation de l'espérance de vie. Aujourd'hui, le diabète représente la première cause extrapulmonaire de morbidité et ce, à tous les stades de la maladie. La moindre insulinosécrétion, présente dès la naissance, est un facteur de dénutrition précoce et d'infections pulmonaires à répétition, ce qui concourt à aggraver le pronostic respiratoire. À plus long terme, le diabète de la mucoviscidose pourra aussi être à l'origine de complications propres à l'hyperglycémie : néphropathie (favorisée par certaines antibiothérapies), hypertension artérielle et rétinopathie.

Des seuils à affiner

Le dépistage du diabète est donc fondamental. Les recommandations le préconisent de façon systématique dès l'âge de 10 ans, voire plus tôt dans les formes sévères et chez les filles, par une hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO), car la glycémie à jeun reste longtemps normale.

« Les seuils retenus dans ces recommandations sont ceux du diabète classique, cibles prédictives des complications dégénératives, mais ils ne sont que modestement adaptés au diabète de la mucoviscidose, indique la Pr Kessler. De même, les seuils de glycémie postprandiale prédictifs de l'atteinte respiratoire ne sont pas définis avec précision. D'autres tests sont en cours d'évaluation, tels que la mesure continue du glucose qui est utilisée de façon annuelle dès l'âge de 10 ans dans notre centre ».

À l’instar des outils diagnostiques, la stratégie thérapeutique souffre du manque d'essais cliniques randomisés contrôlés, difficiles à mettre en place dans cette maladie. Le traitement se fonde aujourd'hui sur l'insuline, ce qui rajoute une contrainte chez ces patients qui ont déjà un traitement lourd. Les antidiabétiques oraux ne sont actuellement pas recommandés. Les biguanides sont contre-indiqués du fait de l'insuffisance respiratoire et de leurs effets secondaires gastro-intestinaux. Les insulinosécréteurs ne corrigent pas le déficit d'insulinosécrétion et peuvent altérer les cellules bêtapancréatiques. « Une étude prospective contrôlée publiée en 2018 dans le journal The Lancet Diabetes Endocrinology n'avait pas montré de différence dans les groupes de patients diabétiques atteints de mucoviscidose traités par répaglinide et insuline en termes de contrôle métabolique de paramètres nutritionnels et respiratoire. Dans cette étude réalisée en 2001, l'insuline utilisée était l'Actrapid, dont la cinétique expose à des hypoglycémies postprandiales. L'absence de prise pondérale dans le groupe Actrapid suggère que les patients étaient sous-dosés en insuline par peur des hypoglycémies, faussant ainsi les résultats. Dans un travail plus récent, l'analogue rapide de l'insuline semble avoir un effet positif sur le poids, comparativement au répaglinide, mais il s'agit d'une petite cohorte d'une trentaine de patients », précise la Pr Laurence Kessler.

Insulinothérapie précoce et à la carte

L'insulinothérapie est très spécifique, précoce et surtout à la carte. Elle doit s'intégrer à la prise en charge globale prenant en compte l'importance de l'atteinte nutritionnelle. Elle doit être très souple, sans restriction alimentaire : c'est l'insuline qui est adaptée à la prise alimentaire et à l'activité physique et non l'inverse. L'éducation thérapeutique à insulinothérapie fonctionnelle est très pertinente chez ces patients à la prise alimentaire très variable. Les anomalies de sécrétion du glucagon compliquent la gestion de ce diabète en exposant les patients traités par insuline à un plus grand risque d'hypoglycémie. Chez ces patients, qui font souvent plusieurs collations au cours de la journée, la pompe à insuline peut être intéressante.

Toutefois les nouveaux outils comme les insulines ultrarapides et la mesure continue du glucose permettent d'alléger les contraintes. L'insuline ultrarapide Faster Aspart (Fiasp, Novonordisk) est actuellement évaluée dans un protocole à Strasbourg visant à administrer l'insuline après le repas. Et la mesure continue du glucose associée à une pompe apporte une aide considérable pour gérer l'instabilité glycémique, favorisée par les épisodes infectieux.

Au stade de la greffe pulmonaire, 50 % des patients sont déjà diabétiques et le traitement immunosuppresseur entraîne un diabète chez 25 % des patients qui n'en souffraient pas auparavant. Le diabète représente un facteur pronostique péjoratif. Cela a conduit certains centres comme celui de Strasbourg à proposer d'associer une greffe d'îlots pancréatiques à la greffe pulmonaire afin d'améliorer le contrôle glycémique.

La nécessaire implication des diabétologues dans les CRCM

« Au-delà de ce volet technologique, la prise en charge du diabète de la mucoviscidose comporte un volet humain, indispensable chez ces patients qui ont un traitement lourd et une espérance de vie limitée. Souvent, ils s'effondrent à l'annonce du diagnostic de diabète, mais il est essentiel de les accompagner et de les traiter de façon très spécifique, rappelle la Pr Kessler. Les diabétologues, jusqu'à présent peu représentés dans les CRCM, vont devoir, en collaboration avec les pneumologues, les gastro-entérologues et les pédiatres s'impliquer dans la prise en charge de ces patients du fait de sa complexité ».

Entretien avec la Pr Laurence Kessler, service endocrinologie, diabète, nutrition, hôpital civil (Strasbourg).

Dr Isabelle Hoppenot

Source : lequotidiendumedecin.fr