Je me souviens d’un patient à qui j’avais prescrit une série de piqûres. Il me passe un coup de fil :
- « Docteur, ça me gratte de partout, l’infirmière m’avait prévenu, est-ce qu’il faut qu’elle revienne ? »
Je réfléchis, suppose plusieurs incohérences et lui demande :
- « Quand avez-vous fait la première ? »
- « Elle commence lundi prochain docteur ».
Et oui, les patients, ça fonctionne comme cela, qu’on le veuille ou non ; il faut en tenir compte ! Et ça, ça fait rigoler les hommes savants… qui feraient mieux de réfléchir à la réalité humaine ! Cependant, le placebo est une épine inextricable dans leur pied. Aussi ça devient un gros mot pour leur science actuelle. Entendons-nous sur le mot science. Imaginons un fabricant qui fasse des fiches sur le modèle Vidal pour les voitures qu’il met en vente, avec par exemple : « l’étude contre placebo montre que l’efficacité de nos freins est de 8 fois sur 10 » ; il aurait tout simplement une interdiction de mise en vente ! Certitude oblige. Sur le plan médical, il obtiendrait sans aucune hésitation : SMR important & ASMR 1 ! La science thérapeutique est toute autre, elle fonctionne sur le modèle de l’incertitude statistique, ce que personne n’accepterait avec les voitures. On parle d’aléa thérapeutique, un bien joli terme, au concept imposé par le consommateur, et accepté par obligation pour pouvoir se disculper des effets secondaires indépendants du prescripteur, aléas bien renseignés en pourcents sur chaque fiche Vidal.
Mais biais cognitif bien humain, on oublie que l’expression aléa thérapeutique s’applique aussi aux effets positifs du médicament, car un médicament n’est jamais efficace à 100 %. Ça arrange bien les hommes savants de ne pas trouver par exemple, pour une indication donnée, sur les fiches Vidal : « Efficacité attendue : 30 % dont 5 % prouvés scientifiquement et 25 % par effet placebo ». Un même mot avec des significations différentes, donc biais cognitif majeur, fait que les patients portent de plus en plus plainte pour tromperie, alors que certains savants n’apportent comme réponse que de supprimer le mot incertitude du vocabulaire thérapeutique médical. Incertitude inacceptable pour les hommes savants en science thérapeutique, le placebo entre dans ce cadre.
Pour notre bonne conscience, les essais contre placebo ont été déclarés non éthiques, on ne fait plus que des études contre des anciens médicaments existants et dits efficaces. C’est très astucieux, car les anciennes études étaient souvent biaisées. Ainsi, une forte augmentation différentielle (ex : 10 points) de preuves scientifiques contre une autre molécule efficace ne serait que de 1 point en testant contre placebo, alors que le référent était validé à 9 au lieu de 0 par erreurs méthodologiques. Supprimer la carte ne supprime pas le territoire, mais l’industrie a été la première à rayer ce mot qui est devenu un gros mot scientifique qui chatouillait un peu trop leur sensibilité commerciale. Les hommes savants emboîtent donc tout naturellement le pas en demandant la suppression au remboursement de tout ce qui est placebo ; un vrai savant ne peut prescrire de gros mots à ses patients, il préfère se débarrasser en incitant à diverses psychothérapies dont les SMR & ASMR sont bien soigneusement non renseignées, non remboursables, donc scientifiquement validées dans leur démarche.
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais les hommes savants tuent aussi les anciens médecins ; quand on entend parler des anciens médecins dans les médias, c’est pour rigoler de leur efficacité ! Effectivement, ils ont (ou plus exactement les connaissances médicales de leur époque) vaincu : peste, tétanos, diphtérie, variole, mortalité infantile, etc. et cela avec leurs faibles moyens. Avec leurs moyens considérables, que font les hommes savants d’aujourd’hui pour, ne serait-ce que, limiter la croissance galopante des nouveaux fléaux que sont : obésité, HTA, diabète, asthme ou autre allergies, etc. ? Il est affligeant de constater que ces nouveaux savants jurent encore hypocritement serment sous Hippocrate, un médecin tellement antique donc aux capacités thérapeutiques quasiment nulles, et dont la renommée de prescripteur, scientifiquement parlant, ne pouvait relever que de la charlatanerie, il suffit de lire (avec leur science actuelle) ses œuvres !
On peut tuer les anciens médecins, on peut tuer le gros mot, ça ne tue pas le problème, d’autant que c’est un gros problème : il est admis, statistiquement parlant, que ce gros mot représente 30 % de l’efficacité moyenne des médicaments (voire 70 % dans la dépression !) ; 30 % sur 100 % de tous les gens ou 100 % chez 30 % des gens, au choix pour les savants, sans doute un mix. Car nous sommes tous atteints de ce mal héréditaire qu’est le biais cognitif, matière première sur laquelle repose l’effet placebo. Cerveau droit contre cerveau gauche, raisonnement rapide face au danger mais souvent faux, raisonnement lent et précis, mais trop tardif face au danger ; tare génétique ou épigénétique qui date des temps préhistoriques, sans doute nécessaire à l’époque, mais qui perdure largement, sinon ça ne se verrait pas chez les politiques qui veulent à tout prix réagir en temps réel ; heureusement, comme on dit, la connerie ne tue pas ! Face au biais cognitif, il n’y a pas beaucoup d’alternatives, il faut entrer dans le langage du patient (car on peut difficilement le faire changer) pour faire passer un message, certains osent appeler cela du mensonge.
Effectivement le biais cognitif est largement exploité via les slogans politiques et la publicité, mais plus que de mensonge, il faut parler ici de tromperie. En médecine, à la différence, ce n’est certainement pas une tromperie pour le patient qui est le seul bénéficiaire d’un vecteur de changement cognitivo-comportemental à son avantage, ce qu’on appelle placebo étant un de ces vecteurs. Et n’y a-t-il pas des placebos plus efficaces que les autres ? Sinon pourquoi fabriquer, volontairement, dans une indication donnée, des gélules « roses » plutôt que « noires » ? C’est bien que le savant sait, parfois, agir volontairement pour en profiter — mais statistiquement et en catimini — sur le taux d’efficacité lié au placebo. Et que vaut-il mieux : prescrire des granules à un adepte de l’homéopathie pour traiter son diabète, chaque prise de granule agissant comme une ancre comportementale, sur le modèle de l’hostie, en lui rappelant à chaque prise qu’il doit devenir meilleur en mangeant moins et mieux, sous peine d’inutilité de prendre la granule ? Ou lui prescrire une association sulfamide + biguanide, (qui permet aux patients de s’autoriser à continuer de manger n’importe quoi) alors que l’importante et première méta-analyse sur le sujet avait comme résultat principal « augmentation de la mortalité ». Avec comme indication majeure « diminution du risque cardio-vasculaire », on a bien l’impression d’avoir affaire à une association nocebo ! Et dont l’indication est associée à un SMR important sur le même modèle économique que ce qu’on pouvait lire — lamentablement — sur les premiers RCP des anti-Alzheimer, à savoir SMR important au seul motif que c’est un problème de santé publique ! Heureusement pour la conscience des savants prescripteurs, personne ne saura jamais qui ils ont tué. En son temps, j’avais discuté avec un grand professeur de diabétologie… « Oui, mais… il doit y avoir des biais méthodologiques non encore trouvés » ; je dirais plutôt qu’il existe un biais cognitif majeur qui rend sourd certains savants… Difficile d’abjurer brutalement et publiquement ce que l’on a cru pendant longtemps…
L’homéopathie est effectivement une « secte qui a réussi » si l’on croit les sondages qui montrent l’adhésion de la population, mais je ne crois pas au mécanisme invoqué, le mode de prise sous la langue sans toucher avec les doigts fait penser à celui de l’hostie, en rapport avec le besoin de sacré et de magie pour provoquer un changement comportemental volontaire, et qui existe, voire est nécessaire (génétiquement ou épigénétiquement) chez la plupart des gens. À ce titre, elle devrait bénéficier de la bienveillance ; ce fut peut-être une erreur de la rembourser, mais il faut savoir vivre avec ses erreurs tant qu’on n’a pas trouvé autre chose de mieux en remplacement. Aussi, je ne voudrais pas être à la place de la ministre qui est tombée dans le piège des sectaires de l’autre bord.
La thérapeutique médicamenteuse scientifique est aussi une « secte » qui a réussi (désolé, mais on fonctionne tous sur le modèle de la secte, si on émet publiquement le moindre désaccord avec la direction d’un groupe, on est viré), mais qui est en perte de vitesse malgré la tentative politique de faire confondre (encore un biais cognitif) les 2 aspects de la thérapeutique actuelle : les énormes progrès thérapeutiques permis par la microchirurgie, l’électronique et les systèmes informatiques qui la permettent, et la quasi-nullité des progrès médicamenteux ; combien d’avancées majeures depuis 30 ans en ce domaine ? À part prendre un billet de 100 €, de le plier en sens contraire pour passer d’une forme dextrogyre à une forme lévogyre, afin de ne pas tomber financièrement dans le domaine public, on ne voit pas grand-chose ! On a bien l’impression d’être en panne sèche.
Tout est semblable disait Pythagore. L’espoir renaîtrait-il avec un nouveau modèle ? Avec le retour en force du ridiculisé Lamarck par les hommes savants et qui est en passe de donner ses ordres au chef Darwin, via les découvertes de l’épigénétique qui permettent de mieux comprendre la réalité héréditaire. Il existe donc une cogestion non pas du dogme du chef, mais de la réalité de chacun, cette réalité environnementale interne (milieu cellulaire) ou externe (alimentaire, toxique, mode de vie, accidentelle mais aussi psychologique), cogestion qui vise la perfection… Au prix d’erreurs par mutations génétiques, mais aussi par marquages épigénétiques plus rapides en efficacité, mais hélas aussi transmissibles sur les générations futures, selon, pourrait-on dire, le même modèle que les biais cognitifs (cf. les études scientifiques sur le diabète dans la ville d’Överkalix en Suède). Il est évident qu’il y a mieux que le traitement médicamenteux « à la va vite » (sauf cas particuliers ou par urgence), donc une déprogrammation épigénétique « lente » qui passe principalement par des actions environnementales et comportementales (donc pas uniquement dépendantes des médecins). Le placebo étant un ensemble de variétés « sauvages » d’actions comportementales agissant sur les biais cognitifs, ce qui fait aussi partie du puzzle thérapeutique, mais étant mal compris, donc mal prescrit, il est donc peu et mal évalué par nos méthodes actuelles, car considéré comme « UN ». Espérons qu’à l’instar de la réconciliation de Darwin et de Lamarck via le mécanisme de l’épigénétique, la thérapeutique scientifique renoue avec la réalité du comportement humain via le mécanisme de la placebothérapie. Parce que jusqu’à présent, cette réalité humaine est traitée par de la rigolade par les hommes savants qui sont incapables de l’expliquer. Mais à une époque où le politique exige d’aller vite, où il demande à l’homme savant de questionner comme un robot pour pouvoir remplir des formulaires pré-établis à visée statistique, (afin de nourrir la future intelligence artificielle !), où existe une déresponsabilisation généralisée pour faire tourner un système qui devient de plus inhumain, alors que les médecins ne peuvent être les seuls à intervenir, on est sans doute mal parti. Car quand un homme savant questionne comme un robot, le patient est souvent bloqué face à un outil qui ne se trompe jamais. C’est trop souvent qu’il ne redevient médecin en agissant avec son cœur et au rythme du patient, que lorsque ce dernier est sur le pas de la porte pour repartir, car en retrouvant, à ce moment et à son insu, sa naturelle humanité avec ses doutes, voire aussi une humilité, il incite le patient à débloquer la situation à ce moment ultime, en aidant le médecin à comprendre, en lui disant enfin les essentiels non-dits de la consultation ; avec dans ce cas nécessité de jouer les prolongations… Trop tard pour l’homme savant et tout-puissant, dont le temps précieux est minuté !
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