Précurseur de Servet, Vésale, Colombo et Harvey, Ibn al Nafs a été le premier à décrire la circulation pulmonaire telle qu'on la connaît aujourd'hui. Alaa Uddine Ali Ibn Abi al-Hazm al-Qurashi, surnommé Ibn al-Nafis, est né dans les environs de Damas, où il a grandi et fait ses études. Après avoir étudié les ouvrages de glorieux anciens dont El Razi (Rhazes), Ibn Sina (Avicenne) et Mouça ben Maïmoun (Maïmonides), Ibn al-Nafis se perfectionna auprès de Dakhour, médecin-chef de l'hôpital al-Nouri et de grands maîtres tels que Amraan l'israélite et Radi Ed-Dine al-Réhabi. En 1236, il partit pour l'Égypte où il passa le reste de sa vie et pratiqua son art à l'hôpital El-Mansouri dont il devint le chef des médecins en même temps qu'il était le médecin attitré du sultan.
Une encyclopédie inachevée en... 300 volumes
Ibn al-Nafis écrivit de nombreux livres tels que "Le livre de référence pour les médecins", "Le livre détaillé de l'ophtalmologie", "Les commentaires sur Hippocrate", "Les épidémies", "Les commentaires sur la materia medica et la composition de médicaments". «Pour rédiger ses ouvrages, il se bornait à écrire ce qu'il retenait, s'appuyant sur ses expériences, ses observations et ses découvertes " sans revenir à une quelconque référence, même s'il connaissait par cœur le Canon d'Ibn Sina et si l'oeuvre de Galien n'avait aucun secret pour lui. Le plus volumineux de ses livres est "Al-Shamil fi al-Tibb" ("Commentaires sur l'Anatomie du Canon de la médecine d'Ibn Sina"). Cette encyclopédie avait été prévue pour compter 300 volumes, mais Ibn al-Nafis ne put en achever la rédaction avant sa mort. Le manuscrit de cette œuvre monumentale se trouve aujourd'hui à Damas.
La première description de la circulation pulmonaire
Son ouvrage le plus important reste cependant "Les commentaires sur l'anatomie du Canon d'Ibn Sina " découvert un peu par hasard en 1924 dans la librairie nationale berlinoise de Prusse par un médecin égyptien, le docteur Muhyo Al-Deen Al-tatawi.
Si cet ouvrage est essentiel , c'est qu'il contient la première description de la circulation pulmonaire. Avant Ibn al-Nafis, la théorie de Galien au IIe siècle prévalait. Le médecin romain affirmait que le sang qui atteignait la partie droite du cœur traversait le septum au niveau de pores invisibles. Il parvenait alors à la partie gauche du cœur où il se mélangeait avec l'air afin de créer l'esprit. Celui-ci, enfin, se distribuait au reste du corps. D'après Galien, le système veineux était séparé du système artériel, sauf lorsqu'ils entraient tous deux en contact au niveau des pores invisibles...
[[asset:image:6741 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["Il s\u0027agit probablement d\u0027une copie faite en Inde au XVIIe ou XVIIIe si\u00e8cle"]}]]Réfutant Galien, Ibn al-Nafis écrit ainsi : "Quand le sang a été raffiné dans cette cavité (le ventricule droit du cœur), il est indispensable qu'il passe dans la cavité gauche où naissent les esprits vitaux. Mais il n'existe pas de passage direct entre ces dernières. L'épais septum du cœur n'était nullement perforé et ne comportait pas de pores visibles ainsi que le pensaient certains, ni de pores invisibles tels que l'imaginait Galien. Au contraire les pores du cœur y sont fermés. Ce sang de la cavité droite du cœur devait circuler, dans la veine artérieuse (l'artère pulmonaire), vers les poumons. Il se propageait ensuite dans la substance de cet organe où il se mêlait à l'air. Afin que sa partie la plus fine soit purifiée et passe dans l'artère veineuse (les veines pulmonaires) pour arriver dans la cavité gauche du cœur et y forme l'esprit vital."
Et il ajoute que "Le cœur ne possède que deux ventricules… et il n'y a absolument aucune ouverture entre ces derniers. De même, la dissection s'oppose à ce qu'ils prétendaient puisque le septum entre ces deux cavités est beaucoup plus épais que nul autre. L'intérêt de ce sang (qui se trouve dans la cavité droite) est de rejoindre les poumons, de se mélanger avec l'air qui s'y trouve, puis de cheminer au travers des veines pulmonaires pour gagner la cavité gauche du cœur…"
Ibn al-Nafis poursuit sa description par l'anatomie des poumons et écrit : "Les poumons sont constitués de diverses parties, l'une d'entre elles est les bronches, la seconde correspond aux branches de l'artère pulmonaire et la troisième aux branches des veines pulmonaires. Toutes sont reliées au moyen d'un parenchyme lâche et poreux". Avant de poursuivre : "Les poumons exigent une artère pulmonaire car celle-ci leur apporte le sang qui a été aminci et réchauffé dans le cœur afin que ce qui suinte au travers des pores des branches de ce vaisseau vers les alvéoles pulmonaires puisse se mélanger avec l'air qui s'y trouve et se combiner avec lui, la substance obtenue étant alors en mesure de devenir l'esprit après que ce mélange a gagné la cavité gauche du cœur. Le mélange est conduit vers la cavité gauche par les veines pulmonaires."
Enfin, en expliquant le rôle des artères coronaires dans l'irrigation du cœur, Ibn al-Nafis contredit une fois encore ses glorieux anciens : "En outre, le postulat [d'Avicenne] qui voudrait que le sang du côté droit serve à nourrir le cœur n'est absolument pas vrai, en effet la nutrition du cœur provient du sang circulant dans les vaisseaux qui pénètrent le corps du cœur."
Les travaux d'Ibn al-Nafis ne furent connus en Europe que 300 ans plus tard quand, en 1547, Andrée Alpago de Belluno en traduisit une partie en latin. En 1553, Michel Servet décrivit la circulation pulmonaire dans son ouvrage théologique "Christianismi Restitutio", suivi en 1553 par André Vesale, dans " De Fabrica " et, en 1559, par Colombo, dans "De Re Anatomica"...
Étranges réminiscences...
Tous ces médecins de la Renaissance ont-ils plus ou moins implicitement les travaux d'Ibn al-Nafis ? Toujours est-il que certains historiens comme Mieli ne peuvent s'empêcher de remarquer : "L'attention s'est portée sur les écrits d'Ibn al-Nafis concernant la petite circulation qui sont en fait une étrange réminiscence de la description effectuée par Michel Servet au XVIe siècle dans son "Christianismi Restituo". Nous croyons désormais qu'il serait juste d'attribuer la découverte de la circulation pulmonaire à Ibn al-Nafis qui était le lointain précurseur des médecins de l'Ecole italienne du XVIe siècle et de William Harvey qui, quatre siècles plus tard, décrivit l'ensemble de la circulation pulmonaire d'une manière précise et définitive".
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature