La politique de vaccination à la française a-t-elle vécu ? Dans un avis récent, le Haut conseil de la santé publique donne un coup de pied dans la fourmilière et appelle à une grande réflexion sur le sujet. Levée de l’obligation vaccinale, multiplication des lieux de vaccination ou encore gratuité des vaccins, le paysage vaccinal français semble appelé à bouger.
Une législation obsolète ?
Concernant l’obligation vaccinale, « nous sommes un certain nombre à être assez mal à l’aise avec ce concept qui remonte à plus de 50 ans voir plus de 80 ans pour certaines vaccinations, explique le Pr Daniel Floret, président du Comité technique des vaccinations. Or, depuis cette période, l’épidémiologie des maladies infectieuse et l’état sanitaire de la population ont changé et les maladies concernées sont devenues très rares voire ont disparu ».
En d’autres termes, pour le HCSP, les obligations vaccinales actuelles, sont surtout historiques et ne correspondent plus forcément à une priorité de santé publique. « Cela ne veut pas dire qu’il faille arrêter de vacciner pour ces maladies, il n’en est pas question, précise d’emblée le Pr Floret. Mais ce que nous disons, c’est qu’il n’y a aucune raison de garder une graduation d’intérêt entre ces vaccins-là et des vaccins qui protègent contre des maladies beaucoup plus fréquentes – comme l’hépatite B ou les infections à HPV – et qui ne sont que recommandés. »
Autre incohérence pointée par le HCSP, les obligations actuelles n’intéressent que l’enfant et non les adultes, qui sont pourtant les seuls concernés par les cas résiduels de diphtérie et de tétanos. Pour le HCSP, il existe donc un hiatus entre une législation obsolète et la réalité épidémiologique, qui peut prêter à confusion. « Le statut d’obligation vaccinale peut discréditer les vaccins seulement recommandés », s’inquiètent notamment les experts. Dans une enquête de l’Institut National de Prévention et d’éducation pour la Santé (INPES), 53 % des personnes interrogées pensent d’ailleurs que les vaccins recommandés sont moins importants que les vaccins obligatoires.
À côté de ces incohérences « médicales », le HCSP pointe aussi les difficultés pratiques inhérentes à l’obligation vaccinale. Alors que, théoriquement, les parents pourraient être en droit de n’exiger pour leurs enfants que la triple vaccination DTP, dans les faits, ces vaccins ne sont plus disponibles que sous forme combinée, associés à des valences vaccinales recommandées.
Au total, « ce double régime, vaccinations obligatoires-vaccinations recommandées est source d’incompréhension tant pour les professionnels de santé que pour la population générale ».
L’obligation vaccinale en question
Dans ce contexte, la levée de l’obligation vaccinale est-elle la solution ? Le HCSP ne tranche pas mais appelle à un débat public sur la question, tout en estimant que la situation actuelle ne peut plus durer. Même dans l’hypothèse du maintien de l’obligation vaccinale, « il faudra revoir la liste des vaccins concernés et une expertise devra préciser les critères d’inscription sur cette liste », indique le Pr Floret.
Dans le cas contraire, le HCSP insiste sur l’importance de la communication. « Afin que ces modifications ne soient pas vécues comme une reculade, il faudra mettre en place une très large communication pour expliquer les raisons de ce changement et défendre le bien fondé de la vaccination », prévient le Pr Floret.
Sous peine, sinon, de voir chuter les couvertures vaccinales ? Même si, sur ce point, les expériences étrangères sont plutôt rassurantes (lire encadré) le risque ne semble pas tout à fait nul. Selon une enquête INPES/INVS, en cas de levée de l’obligation vaccinale, 15 % des généralistes (et 9 % des pédiatres) conseilleraient aux parents de faire vacciner leurs enfants tout en leur laissant la possibilité de ne pas le faire. Tandis qu’en population générale 21,3 % des personnes s’interrogeraient sur le bien-fondé de ces vaccins…
Un statut juridique pour toutes les vaccinations
Dans ce contexte, « les autorités compétentes devraient définir un statut juridique pour toutes les vaccinations inscrites au calendrier vaccinal, de sorte que celles rendues non obligatoires ne soient plus considérées comme facultatives », estime le HCSP. Il faudra aussi préciser « à quoi s’engagent les personnes qui refusent les vaccins pourtant recommandés et à quoi s’exposent les médecins qui ne proposent pas ou qui déconseillent les vaccins recommandés par les autorités de santé ». À mots couverts, le HCSP propose donc de rendre les vaccinations « opposables » plutôt qu’obligatoires…
« Ce concept d’opposabilité est intéressant dans la mesure où il pose le principe de la responsabilisation », commente le Pr Serge Gilberg, médecin généraliste à Paris et membre du comité technique des vaccinations... Reste que, pour certains, l’obligation vaccinale peut parfois être un levier bien utile. En 2013, la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et l’Académie nationale de pharmacie s’étaient même positionnées en faveur de l’élargissement de l’obligation vaccinale du ROR pour en améliorer la couverture vaccinale.
De même, bon nombre de praticiens, restent attachés au principe de l’obligation. Selon l’étude INPES/InVs, 42 % des médecins généralistes y seraient ainsi favorables. Un point de vue que ne partage pas forcément le Pr Gilberg : « Je ne vois pas dans l’obligation vaccinale un argument pour convaincre mes patients. Cela ne correspond ni à mon éthique ni à ma façon de faire de la médecine et je pense que mon travail consiste davantage à donner à mes patients l’état des connaissances en leur expliquant les risques et les bénéfices attendus ».
De plus poursuit le Pr Gilberg, « les pays qui ont la meilleure couverture vaccinale ne sont finalement pas ceux qui ont un système d’obligation mais plus ceux qui ont le système de soins le mieux organisé ».
Principe de gratuité
Un aspect qui n’a pas échappé au HCSP qui souligne « l’intérêt de promouvoir une nouvelle organisation qui rende plus accessible la vaccination ». Et pose à ce titre le principe de la gratuité des vaccins. « Tous les vaccins obligatoires et recommandés inscrits au calendrier vaccinal en vigueur doivent être sans reste à charge pour les personnes concernées ou leurs familles ».
Dispositif public ou libéral ?
Par ailleurs, alors qu’actuellement le dispositif libéral assure 85 % des vaccinations (dont les trois quarts réalisés en médecine générale), l’accent est mis sur l’amélioration du dispositif public jugé pour le moment « illisible, complexe et inégalitaire ».
Le HCSP propose ainsi une remise à plat totale du statut et du cahier des charges des centres de vaccinations ainsi qu’un élargissement des lieux publics de vaccination dans les collectivités comme les établissements scolaires, les entreprises, les maisons de retraite, etc. Un autre avis du HCSP paru quelques jours plus tôt proposait d’ailleurs de faire rentrer la vaccination anti-HPV en milieu scolaire pour améliorer la couverture vaccinale.
Une mesure qui interroge. « Dès lors que la population a un médecin traitant, il me semble normal que le statut vaccinal, sa surveillance et sa mise à jour fassent partie de la mission du généraliste », réagit le Pr Gilberg, craignant que la multiplication des lieux de vaccinations rende difficile la traçabilité des
vaccins réalisés et n’entraîne une dilution des responsabilités.
Mieux vaudrait peut-être renforcer les moyens d’action des généralistes en leur permettant, par exemple, de disposer de vaccins en cabinet ? Selon une étude réalisée dans le département de la Vienne, la détention et la conservation d’un stock de vaccins par le praticien serait, en effet, un moyen efficace d’amélioration de la couverture vaccinale...
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