L’IA entraîne un bouleversement de l’ensemble de notre société, et bien sûr, une transformation en profondeur des pratiques médicales. Les médecins praticiens sont conscients de cette lame de fond qui déferle sur l’exercice de leur profession même, s’ils restent encore un peu effarés, décontenancés, voire inquiets face à cette évolution. Moins les spécialistes, dont par exemple les anatomopathologistes ou radiologistes, qui savent qu’à terme leur métier va inexorablement disparaître sous sa forme actuelle.
Comment des humains, aussi performants soient-ils, pourraient rivaliser avec des machines de traitement d’images ? Aucun intérêt. D’autant plus qu’avec le deep learning, la machine apprendra de ses hésitations et se perfectionnera en continu. Elle apprendra de son expérience mais aussi de celle des millions d’autres machines avec lesquelles elle sera connectée…
Pour un médecin, l’erreur est inadmissible. À l’heure actuelle, on ne peut plus accepter de ne pas utiliser les machines pour établir les diagnostics. Garder l’humain pourrait n’avoir plus aucun avantage pour le diagnostic et la prescription. En revanche, Il prend tout son sens, et le prendra encore plus demain, dans le relationnel, l’ajustement, la mise en place d’un suivi et d’une prise en charge psychologique… Le médecin traitant, continuera d’exister. Simplement, ça ne sera plus à lui de faire seul le diagnostic ni de définir le meilleur traitement.
Le lien humain restera fondamental
Ce qui est très important est que l’on n’en arrive pas à l’éviction du référent humain, de ce lien humain qui est fondamental. Car, la machine, aussi savante soit-elle, soigne des corps dont elle est elle-même dépourvue !
Ce « corps à corps » médecin/patient peut être mimé mais aucuns calculs et suites de codes ne pourront remplacer l’empathie, la chaleur, la proximité d’un médecin avec et pour son patient. Ce que l’on peut appeler la « bisou thérapie », ou « calino-thérapie » ne représente pas loin de la moitié de l’efficacité thérapeutique et de l’activité du médecin dans sa pratique quotidienne. Il faut donc à tout prix que l’on arrive à préserver cette relation privilégiée qui, outre son apport psychologique, intervient énormément dans la mise en œuvre de l’acte médical. Le contact direct avec un humain gardera donc un attrait important. La relation sera très différente.
C’est pourquoi, je suis persuadé que, sans limites d’ordre économique, la consultation de demain gardera une place privilégiée au médecin. Elle consistera dans un premier temps, après prise d’un rendez-vous en ligne, à recevoir un patient par visio et à consulter ses antécédents médicaux en ligne sur son Dossier médical personnalisé (DMP). A ce stade, le patient aura besoin d’un référent humain pour l’aider à comprendre ce qu’on lui demande pour répondre correctement aux questions posées.
Ensuite il sera invité à entrer dans un tunnel, type imagerie échographique corps entier - appareil qui existe déjà et qui est déjà commercialisé par ailleurs – qui offrira la possibilité de palper l’élasticité des organes, de prendre une image de la peau, d’écouter les bruits du corps (cœur, respiration, intestins…), de prélever quelques gouttes de sang envoyées vers un robot analytique…
Au sortir de ce dispositif, la machine indiquera son diagnostic ou prescrira une série d’examens complémentaires avec un ordre de probabilités des potentiels diagnostics et, indiquera le traitement le mieux adapté, s’appuyant sur la littérature mondiale, en temps réel. Il faudra de nouveau ici un référent humain, probablement un médecin, qui décrypte, rassure le patient. S’il s’agit d’une maladie sévère, il faudra qu’il lui explique comment il pourra l’accompagner, qu’il essaie d’obtenir sa participation, son observance. Il devra également s’occuper de la mise en œuvre de son suivi médical, en utilisant de plus en plus de dispositifs médicaux et l’organisation des plans des soignants.
Nouveau défi pour la formation
Dans cette consultation de demain, qui arrive à grands pas, la réforme de la formation est un point essentiel et relativement urgent. Les doyens d’université conviennent du nécessaire besoin d’évolution des enseignements. Pour autant, nous ne sommes toujours pas encore passés de la conscience à la réforme. Nous en sommes encore à réformer l’apprentissage de la médecine d’hier et d’aujourd’hui ! Mais c’est un point essentiel et relativement urgent. Il faut 7ans pour préparer un médecin. Dans 10 ans, 15 ans, l’orientation de la médecine du futur sera déjà bien amorcée.
Il risque bien d’y avoir une phase d’inadaptation entre les servants et le monde réel. Comme cela s’est fait plusieurs fois dans l’histoire du progrès. Les études de médecine se devront d’être très profondément modifiées. Le futur médecin sera formé sur un triple socle de connaissances et de compétences : physiologie, anatomie, pathologie globale car cela restera la base de la médecine ; logique des dispositifs et notamment en IA car il est nécessaire de connaître les dispositifs de sécurité, des bugs, des alertes, de pouvoir les réorienter ; connaissance psychologique, en augmentant considérablement cet enseignement, bien réduit dans les enseignements actuels.
Il serait redoutable de ne pas réfléchir en amont à cette nouvelle donne de notre système de santé, et bien plus globalement à l’organisation du travail tout court en laissant toute la place aux robots. Pour l’emploi en général, l’IA va créer de nouveaux types d’emploi au contact de l’humain. Dans cette société déshumanisée, le besoin de contact humain sera renforcé… Et une question de société s’imposera alors, si tout le travail productif est réalisé par les robots, comment rémunérer l’humain ?
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