Aujourd'hui, plus d’une cinquantaine de greffes utérines ont été réalisées dans le monde, et 15 enfants en bonne santé sont nés depuis 2014. La plupart des femmes greffées sont atteintes du syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser (MRKH), une pathologie congénitale caractérisée par une absence d'utérus.
Le Quotidien du médecin : Quels ont été les débuts de la greffe utérine à Foch ?
Pr Jean-Marc Ayoubi : Je me suis intéressé à la greffe utérine dès 2007 au moment de mon arrivée à Foch, hôpital considéré comme un centre de référence dans le domaine de la transplantation depuis plus de 20 ans. Dans le service de chirurgie gynécologique, étaient prises en charge des patientes atteintes du syndrome MRKH et des patientes opérées de pathologies bénignes avec un utérus normal. Devant ces situations, la question s'est posée : pourquoi l’utérus de l’une ne pourrait pas être greffé chez l’autre ?
Dès 2008, l’équipe a commencé à travailler sur la microchirurgie chez l’animal et à préparer le projet de greffe d’utérus. En 2009, notre collaboration avec l’équipe suédoise de l’hôpital universitaire de Göteborg dirigée par Mats Brännström a démarré. Cette équipe travaillait depuis plusieurs années sur le sujet.
Nous avons adressé une première lettre à l'Agence de biomédecine en 2010 afin qu'elle réponde à nos interrogations : la greffe utérine est-elle une greffe comme les autres ? Faut-il mener un essai thérapeutique ou un protocole de recherche ? Cette lettre est restée sans réponse, tout comme la deuxième envoyée en 2011.
Pr René Frydman : En parallèle, j'ai eu envie de creuser la question. En 2012, j'ai écrit au Comité consultatif national d'éthique, avec l'idée de lancer le débat sur la greffe utérine avant que celle-ci ne soit pratiquée chez l'homme. Pas de réponse. J'ai rejoint l'équipe de Foch l'année suivante.
Pr Jean-Marc Ayoubi : Son arrivée et son expérience nous ont boostés. Les choses se sont aussi accélérées après la naissance en Suède en 2014 du premier bébé né grâce à cette innovation. Avant cela, l'évocation de la greffe utérine amenait souvent la réponse : « c’est impossible ». Comme l'a dit Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ».
L'Académie nationale de médecine s'est alors prononcée, dans un rapport de 2015, en faveur de la transplantation utérine dans un cadre expérimental. La route était ouverte. L'équipe de Limoges, la seule autre équipe française à s'intéresser à la greffe utérine, a reçu la même année l'autorisation de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de réaliser huit greffes à partir de donneuses en état de mort cérébrale.
À Foch, il nous a fallu attendre 2017, après un premier dossier déposé en 2015, pour être autorisé à mener un protocole de recherche sur dix greffes à partir de donneuses vivantes. Nous réaliserons une évaluation à l'issue de ces dix greffes et espérons une généralisation de la pratique d'ici 5 à 10 ans.
Pourquoi avoir privilégié la greffe à partir de donneuses vivantes ?
Pr René Frydman : Pour commencer, l'Arabie saoudite et la Turquie avaient réalisé en 2000 et 2011 des greffes à partir de donneuses décédées qui se sont soldées par des échecs, alors que les travaux de l'équipe suédoise à partir de donneuses vivantes ont donné lieu à une première naissance. Néanmoins, le prélèvement de l'utérus de donneuses décédées pose moins de problèmes éthiques à partir du moment où l'accord a été obtenu au préalable. Le don à partir de donneuses vivantes soulève plusieurs questions : quel est le risque pris pour la donneuse ? Quel lien cela introduit-il entre donneuse et receveuse ? Cette question est d'autant plus importante que les deux vont être amenées à se voir, les donneuses étant souvent la mère ou la sœur pour augmenter les chances de compatibilité.
Pr Jean-Marc Ayoubi : Nous pensions qu'il serait trop compliqué de demander à une femme d'accepter de se faire opérer pour permettre à une proche d'avoir un enfant. Les discussions avec les différentes instances ont fait évoluer notre réflexion. D'autant plus que les greffes à partir de donneuses décédées posent des problèmes logistiques, notamment du fait qu'un utérus ne sera pas prioritaire par rapport aux autres organes, ce qui peut avoir un impact sur sa qualité. Une première naissance en juillet au Brésil montre néanmoins que ce type de greffe est possible.
Le choix des donneuses vivantes nous a permis de calquer notre protocole de recherche sur celui de la greffe rénale à partir de donneurs vivants mis en place à l'hôpital, avec le recours au comité de protection des personnes et au comité des donneurs vivants. Les patientes sont ainsi bien informées des risques éventuels, bien qu'aucune complication majeure n'ait été rapportée à ce jour par les autres équipes.
Le recours à de multiples instances a-t-il été un frein ?
Pr René Frydman : Si chaque commission a un point de vue, nous regrettons la succession des démarches qui donne le sentiment de se répéter et de perdre du temps. Nous souhaiterions que les démarches se fassent en un même temps.
Pr Jean-Marc Ayoubi : Ces démarches ont en effet pu être vécues comme des bâtons dans les roues, comme lorsque l'équipe a dû se mobiliser jour et nuit pendant une semaine pour répondre à toutes les questions, aussi légitimes soient-elles, de l'ANSM. Mais elles ont aussi enrichi notre réflexion éthique. Elles nous ont amenés notamment à prendre davantage en compte le vécu de la donneuse.
Quel lien entretenez-vous avec les équipes à l'international ?
Pr Jean-Marc Ayoubi : Nous partageons notre expertise avec les plus de 20 équipes dans le monde qui s'intéressent à la greffe utérine à travers la Société internationale de transplantation utérine qui permet d'échanger sur le plan technique et éthique.
Nous avons noué un lien fort avec l'équipe suédoise à travers des échanges réguliers et des projets de recherche communs. Nous avons pu profiter de leur expertise, et nous les avons incités à intégrer la chirurgie robotique pour le prélèvement de l'utérus, technique que nous avons développée pour les hystérectomies en cas de cancer gynécologique avant d'avoir les autorisations de greffe. L'équipe suédoise a ainsi réalisé cinq greffes grâce à cette technique et avec notre participation. La première naissance mondiale à partir de cette technique a eu lieu début avril, la même semaine que la première greffe française.
Cette collaboration européenne et internationale est très stimulante. Nous souhaiterions que d’autres équipes s'intéressent au sujet en France. L'esprit d'émulation est essentiel pour faire avancer la recherche.
La greffe utérine est-elle une alternative à la gestation pour autrui (GPA) ?
Pr Jean-Marc Ayoubi : La greffe utérine n'a pas été pensée comme une alternative à la GPA. La greffe a pour objectif de réparer une anomalie anatomique responsable de l’absence d’utérus et interdisant tout espoir de grossesse. Il s’agit d’une question médicale, chirurgicale et aussi éthique. La GPA est une question davantage sociétale.
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