IL EST RARE qu’on les entende, encore plus qu’ils se mettent en grève et descendent manifester dans la rue. Hier, les 2 540 médecins conseils de l’assurance-maladie étaient appelés à cesser le travail par une intersyndicale regroupant la CFE-CGC, Force ouvrière et la CFDT. À Paris, certains d’entre eux ont manifesté entre la Nation et le siège de l’Union des caisses nationales de Sécurité sociale (UCANSS). Ceci dans le cadre d’une protestation plus large de tous les personnels de l’assurance-maladie orchestrée par les mêmes organisations, la CFDT appelant à cet échelon les agents à de simples débrayages.
Le mouvement inédit des discrets praticiens conseils témoigne de l’exaspération de la profession. Des rémunérations qui stagnent, des effectifs qui fondent, des objectifs de contrôle qui croissent, une gestion du travail qui passe mal… : dans le chaudron des services médicaux de l’assurance-maladie, les ingrédients se mélangent à ce point mal que certains responsables syndicaux n’hésitent pas à brandir l’épouvantail de la souffrance au travail et à établir un parallèle avec ce qui s’est passé à France-Télécom. « On n’en est heureusement pas là, commente le Dr Alain Fouquet, pour le SNFOCOS (Force ouvrière), mais les risques psychosociaux existent. Les confrères en parlent en évoquant les pressions exercées sur eux, leur surcharge de travail, les mauvaises conditions dans lesquelles ils sont placés pour recevoir les gens du matin au soir. »
• Le salaire patine.
En début de carrière, le salaire mensuel moyen d’un praticien conseil avoisine les 4 000 euros bruts. « Les médecins conseils savent qu’ils ne sont pas les plus à plaindre au sein des organismes sociaux et de la population générale, comment le Dr Florence Toureille, responsable du SNPDOS (Syndicat national des personnels de direction des organismes sociaux, CFDT), mais ils souhaitent maintenant que leurs difficultés soient entendues. » Le Dr Fouquet (SNFOCOS) constate pour sa part que le GVT (glissement vieillesse technicité) de la profession s’est réduit l’an dernier « de moitié par rapport aux autres personnels de l’assurance-maladie ».
Depuis 2006, la rémunération des praticiens conseils stagne. Ainsi que l’explique le Dr Jean-François Gomez, président du SGPC (Syndicat général des praticiens conseils, affilié à la CGC et ultra-majoritaire dans la profession), le corps, régi par une convention collective réformée il y a cinq ans, « n’avance plus qu’à l’ancienneté », or cet avancement-ci ne se produit que « tous les cinq ans ». La valeur du point ne progresse pas et la part « variable » du salaire des médecins conseils (sur objectifs de « moyens et non de résultats », insiste le Dr Gomez), élargie en 2006, ne « récompense » finalement que peu d’élus (autour de 700 l’an dernier). Résultat, le pouvoir d’achat du corps est en berne.
• Effectifs peau de chagrin.
« Depuis 2002, nous perdons 50 postes par an, calcule Jean-François Gomez (CGC), 500 ou 600 postes ont ainsi disparu pour un effectif global de 2 540 praticiens, dont 240 sont déjà partis dans les ARS [agences régionales de santé] ». Les partants (en retraite ou vers d’autres horizons) ne sont pas remplacés et les postes offerts au recrutement ne sont jamais tous pourvus. À tel point que des discussions pourraient s’ouvrir pour essayer à la fois de varier le recrutement et de favoriser les compléments d’activité pour les praticiens en poste. « Sans conflits d’intérêt ! », s’empresse de préciser un syndicaliste : « Ces compléments d’activité – pourquoi pas une régulation SAMU, par exemple – restent à définir, il n’est évidemment pas question d’autoriser des médecins conseils à visser leur plaque en ville ! »
• Irritants indicateurs.
« Nous sommes soumis à la politique des indicateurs, la politique du chiffre, résume Alain Fouquet (FO). On nous transforme en machine de production d’avis. Seulement l’aspect qualitatif de notre travail s’oppose à cette dimension quantitative. » Le Dr Fouquet a des exemples : « On nous demande des gros volumes de contrôles des arrêts de travail de courte durée. Or nous savons que ceux-ci sont, dans la grande majorité des cas, très justifiés. C’est absurde. On veut prouver qu’on sert à quelque chose en brandissant ces milliers d’arrêts. Mais si les contrôles ne sont pas ciblés, leur pertinence médicale est discutable. » Croulant sur les exigences chiffrées, les praticiens conseils y perdent leur latin. Ou plutôt, « il y a une perte de sens de leur travail », analyse Florence Toureille (CFDT). « Un service médical, il ne faut pas oublier qu’il est, précisément, "médical", ajoute Alain Fouquet. Son but n’est pas d’aller à la guerre, à la recherche de fautes. Le noyau du contrat de l’assurance-maladie, c’est de rembourser un certain nombre de prestations qui doivent être justifiées sur des critères médicaux, lesquels, souvent, doivent être personnalisés. Les médecins conseils sont en difficulté parce qu’on ne leur donne plus les moyens de faire cela. » Le contexte du « trou de la Sécu » n’arrange rien, les praticiens se sentant facilement contraints, logique implacable, de mettre en œuvre des objectifs « parce qu’il faut faire baisser les dépenses d’assurance-maladie, parce que sinon, arrivera un jour où il n’y aura plus de Sécurité sociale en France », résume le Dr Toureille.
Poussés dans leurs retranchements, les médecins conseils espèrent que leur manifestation de colère sera entendue par les pouvoirs publics. Le Dr Jean-François Gomez (CGC), est plus que confiant : « Il y a, dit-il, un proverbe selon lequel quand les syndicats des praticiens conseils toussent, la CNAM [Caisse nationale d’assurance-maladie] s’enrhume. »
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