L’homme préhistorique savait-il soigner les maladies, les blessures et les traumatismes fréquents auxquels il était exposé ? Autrement dit, la révolution néolithique s’est-elle accompagnée d’une révolution médicale ? On peut répondre par l’affirmative même si la « médecine » pratiquée alors ne pouvait être qu’empirique et intuitive. Toujours est-il que des traces de modifications osseuses ont été retrouvées chez des contemporains de l’homme de Néandertal : mâchoires soignées, fractures osseuses… « Mais, comme l’explique Patrick Josset, chercheur au Muséum national d’histoire naturelle, on s’interroge dans la plupart des cas sur la part de médical et de rituel » qui intervenait dans la manière de traiter des blessures qui étaient le plus souvent d’origine accidentelle et non consécutive à des combats avec d’autres hominidés ou animaux. Ainsi, selon le Pr Jacques Cayotte – qui fut une grande figure de la médecine en Lorraine, passionné de paléopathologie –, « rares sont les ossements dans lesquels sont fichées des pointes de silex, ou les crânes éclatés sous l'effet des coups de hache de pierre. »
Les premières trépanations
« Boire dans le crâne d’un ennemi est la volupté suprême du barbare », écrivait Paul Broca, le grand médecin, anatomiste et anthropologue français, citant Tite-Live.
La trépanation, qu’elle ait été entreprise pour des raisons médicales, religieuses ou simplement pratiques, est, sans nul doute, la plus ancienne intervention chirurgicale attestée à ce jour, pratiquée en Europe dès la fin du Néolithique, voire au Mésolithique, c’est-à-dire 10 000 ans avant notre ère. Ainsi les fouilles effectuées dans les sites pré- et proto-historiques des Grands Causses (au sud de la France) ont permis de recenser plus de 160 trépanations cicatrisées. Mais, cette intervention, réalisée à l’aide d’outils de silex, ne s’est pas cantonnée au Vieux Continent, puisqu’en Amérique latine, les Pré-Incas, vers 2000 avant J.-C. la pratiquaient aussi très couramment.
[[asset:image:6336 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Ces opérations étaient le plus souvent réalisées sur des malades souffrant de troubles mentaux, de traumatismes crâniens, d’ostéomyélite, de céphalées, d’épilepsie ou d’affections organiques. On présume même que l’anesthésie locale était déjà connue à cette époque et qu’elle était effectuée à partir de la cocaïne contenue dans la coca… Les pré-Incas faisaient montre d’ailleurs d’une habileté technique incontestable comme le prouve la présence de sutures puisqu’ils savaient qu’une rupture du sinus venosus serait fatale. Autre exemple de l’efficience de la médecine pré-inca, les chiffres rapportés par McCurdy dans son ouvrage « Human skeletal remains from the highlands of Peru » : à partir de 45 crânes étudiés, il a pu démontrer que 26 des « trépanés » avaient survécu à l’opération. 11 avaient montré des signes de guérison partielle et, donc, seulement 8 étaient morts des suites de l’opération. Baume du Pérou, menthol, sels, tanins, alcaloïdes, saponines et résines, riches en acide cinnamique, servaient, tous excellents antiseptiques, à enduire les crânes des trépanés.
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Rituel ou acte chirurgical ?
Pratique purement rituelle ou opération « symbolique » intégrée dans une médecine traditionnelle, les trépanations pratiquées en ces temps préhistoriques sont encore sujettes à bien des hypothèses. Pour certains chercheurs, cette opération n’était qu’un rituel apotropaïque pour tenir les mauvais esprits à distance. Pour d’autres, il s’agit là simplement une initiation mystique, tout comme d’autres interventions plus courantes comme la circoncision ou les scarifications cutanées. Quelques-uns affirment même que la trépanation n’aurait eu qu’un but pratique, à savoir suspendre le crâne, comme le font les Dayaks de Bornéo. Cependant, la majorité des chercheurs pensent que ces trépanations avaient réellement un but thérapeutique. Dernière conjecture enfin, la trépanation pourrait simplement avoir eu pour objet de récupérer un fragment de crâne utilisé comme remède. Une hypothèse reposant sur le fait que les chimistes du XIXe siècle pouvaient se procurer de l’« ossa wormiana », pièces triangulaires découpées dans un crâne et servant de remède contre l’épilepsie.
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Un haut niveau de technicité
Quelles qu’aient été les motivations de ces trépanations, le plus étonnant reste le haut niveau de technicité des interventions pratiquées. Le premier crâne trépané exhumé en France le fut le 18 juillet 1685 à Cocherel, en Seine-et-Marne, par Bernard de Montfaucon, un moine bénédictin, Ce n’est pourtant qu’en 1816 que Jean-Denis Barbié du Bocage présenta un crâne trouvé à Nogent-les-Vierges (Oise) « présentant un traumatisme qui avait fait perdre une partie du crâne, ce qui n’empêcha pas son possesseur de vivre encore de longues années » (douze ans, selon une estimation que fit Cuvier par la suite). En 1873, un morceau d’os pariétal ayant probablement servi comme amulette fut trouvé dans un dolmen de Lozère par Prunières. Celui-ci fut le premier à utiliser le terme de « trépanation », terme qui sera définitivement fixé et mieux défini par Paul Broca qui en fixa la typologie au congrès international d’anthropologie international d’anthropologie et d’archéologie historique de Budapest en 1878 : « Je me propose d’établir les deux faits suivants : on pratiquait à l’époque néolithique une opération chirurgicale consistant à ouvrir le crâne pour traiter certaines maladies internes. Cette opération se faisait presque exclusivement, peut-être même exclusivement sur les enfants (trépanation chirurgicale). Les crânes des individus qui survivaient à cette trépanation étaient considérés comme jouissant de propriétés particulières, de l’ordre mystique, et lorsque ces individus venaient à mourir, on taillait souvent dans leurs parois crâniennes des rondelles ou fragments qui servaient d’amulettes et que l’on prenait de préférence sur les bords mêmes de l’ouverture cicatrisée (trépanation posthume) ».
[[asset:image:6351 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]La même année, Just Lucas-Championnière fut le premier à penser que la trépanation telle qu’elle était pratiquée en ces temps immémoriaux était une mesure chirurgicale destinée à faire diminuer la pression intracrânienne. Les analyses ultérieures ont montré que tous les crânes fossiles troués n’ont pas été nécessairement trépanés, cancer et maladies infectieuses… ou blessures de guerre érodées par le temps pouvant être à l’origine de la perforation similaire.
Des tests menés par Paul Broca ont permis également de montrer qu’il était possible de réaliser une trépanation sur des chiens à l’aide d’outils en silex taillé sans tuer l’animal ni endommager la dure-mère. La poudre d’os obtenue était peut-être recueillie pour ses propriétés magiques et comme remède. La forme régulière de certaines trépanations a permis de dire que des compas ont pu être employés.
La trépanation était donc une opération plutôt bien maîtrisée, le taux de survie étant supérieur à 90 %. Il est incontestable aussi que ces trépanations ont été réalisées de main d’homme puisque, grâce à la microradiographie, on a pu constater que la brèche osseuse constatée sur ces crânes trépanés présentait des bords différents de ceux provoqués par une ostéite et était bien le fait d’un découpage à l’aide d’un instrument contondant., en l’occurrence des silex ou, par la suite, chez les Incas des outils en obsidienne permettant d’user la « table » externe de l’os crânien. Ce qui peut paraître inouï mais, dans les faits, parfaitement réalisable puisqu’au début du XXe siècle, certains indigènes mélanésiens parvenaient à découper en moins de dix minutes une rondelle crânienne à l’aide d’une pierre aiguisée.
À partir des crânes trépanés qui ont pu être étudiés ici ou là, on peut établir que les trépanations étaient pratiquées en tout point de la voûte crânienne, même si elles étaient réalisées plus électivement sur l’os pariétal gauche ou l’os occipital et beaucoup plus rarement sur l’os temporal ou l’os frontal. Dans la plupart des cas, la « rondelle » découpée était arrondie ou ovale avec des bords en entonnoir. Sa superficie était en moyenne de 3 à 4 cm x 5. Mais il a été aussi rapporté une trépanation de 14 x 11 cm à laquelle le (proto)patient aurait survécu…
Cependant, comme l’affirme Jean Dastugue, éminent spécialiste de paléopathologie s’il en est, « Il est très exceptionnel que les constatations anatomiques (sur ces crânes) permettent une déduction précise touchant l’indication opératoire posée par le praticien empirique ». Ainsi, les crânes des Grandes Causses qui ont pu être étudiés montrent peu de trace d’infection osseuse et, dans trois cas seulement, selon l’anthropologue Loïc Hibon, il est possible de parler d’une relation « d’indication à traitement ». Il s’agit :
- d’un crâne présentant un épaississement pathologique du conduit auditif ;
- d’un crâne présentant une pathologie du condyle et du processus mastoïde gauche ;
- d’un crâne porteur de plusieurs exostoses d’étiologie inconnue.
Notons, enfin, que dans certaines civilisations disparues, il semble que la trépanation ait été associée aux déformations crâniennes pratiquées dès la plus tendre enfance sur certains sujets afin de marquer des différences hiérarchiques ou de clan (par exemple, au Pérou, chez les Paracas).
Les amputations
Les trépanations ne furent pas les seules opérations chirurgicales auxquelles se livrèrent nos lointains ancêtres, l’amputation des phalanges ou des doigts ayant été une pratique universellement répandue puisqu’on en a retrouvé des exemples non seulement en Europe, mais aussi en Afrique, en Amérique et en Océanie. Selon le Pr Jacques Cayotte, « on peut, presque à coup sûr, affirmer que ces amputations n'étaient pas pratiquées dans un but thérapeutique, par exemple à la suite d'une blessure provoquée par un animal ou pendant la chasse. En effet, elles sont presque constamment limitées aux deux premières phalanges, et souvent au niveau de tous les doigts de la main. Cette régularité de l'aspect anatomique est curieusement impressionnante si l'on songe à la distance gigantesque qui sépare les divers points où on a découvert ces témoignages. En revanche, on peut penser qu'il s'agit soit d'un geste rituel, quoique bien mystérieux pour nous, soit peut-être d'un châtiment appliqué en punition d'un crime. En tout cas, ces amputations de phalanges ou de doigts étaient bien des opérations chirurgicales exécutées selon les règles, en dépit des moyens disponibles ». Par ailleurs, trois cas d'amputation sont actuellement connus dans le Néolithique ancien d’Europe occidentale : Sondershausen dans l’est de Allemagne (amputation de bras), Vedrovice en Moravie (amputation de main) et Buthiers-Boulancourt (Seine-et-Marne) où l’on a découvert une amputation de l'avant-bras gauche pratiquée il y a 6 900 ans sur un homme âgé.
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Les pathologies de l’homme préhistorique
La paléopathologie, « science des maladies dont on peut démontrer l'existence sur les restes humains et animaux des temps anciens », selon la définition faite par Sir Armand Mark Ruffer en 1913, a permis d’apporter des renseignements précieux sur les pathologies et lésions dont souffraient nos « grands-pères vêtus de peaux de bêtes ».
Les études paléopathologiques montrent ainsi que les hominidés du paléolithique présentaient moins de maladies et de traumatismes que dans les périodes suivantes. Leur espérance de vie était très réduite et, de ce fait les maladies liées à la dégénérescence et au vieillissement étaient rarissimes. Selon W. Krogman :
- à l’époque de l’homme de Néanderthal, 80 % des personnes mouraient avant l’âge de 30 ans et 95 % avant l’âge de 40 ans ;
– 62 % des contemporains de l’homme de Cro-magnon mouraient avant l’âge de 30 ans et 88 % avant l’âge de 40 ans ;
– enfin, au Mésolithique, 86 % des personnes mouraient avant l’âge de 30 ans et 95 % avant l’âge de 40 ans.
Notons, par ailleurs, que le mode d’alimentation non transformé des hommes du mésolithique leur permettait d’échapper au cholestérol et aux caries dentaires.
Au néolithique, les bouleversements du mode de vie vont avoir une forte incidence sur les maladies rencontrées. Ainsi les lésions dentaires (caries et usure prématurée) vont apparaître avec le développement de l’agriculture et la transformation des aliments. La tuberculose, transmise du bétail à l’homme, va apparaître aux alentours du VIIIe millénaire avant Jésus-Christ. Les premiers cas de variole sont survenus quant à eux au Ve millénaire, la maladie ayant été transmise à l’homme par le chameau.
[[asset:image:6371 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]L’arthrose, comme l’a démontré le Dr Gilles Delluc, lors d’une conférence donnée à l’Académie Nationale de Médecine en 2010, « est attestée pratiquement depuis les premiers Hommes et se retrouve notamment chez l’homme de la Chapelle-aux-Saints (Corrèze) et l’Homo sapiens de Cro-Magnon (Dordogne), quadragénaire baptisé « le vieillard. l'Homme de la Chapelle-aux-Saints, un Néandertalien ayant vécu il y a 50 000 ans, présentait ainsi une spondylose dégénérative typique de la colonne cervicale. La colonne vertébrale n'est pas le seul élément du squelette à être touché par le processus dégénératif, précise de son côté le Pr Cayote, on constate également des lésions d'arthrose des membres qui prédominent au niveau des articulations des membres inférieurs, soumis à l'action permanente de la surcharge pondérale, avec la même régularité que ce qu'on peut observer aujourd'hui. L'Homme de La Chapelle-aux-Saints présente une coxarthrose gauche avec une ovalisation de la cavité cotyloïde en rapport avec un processus subluxant de la hanche. Pour le chercheur lorrain, une conclusion s’impose : ces ostéoarthropathies ne constituent pas une maladie « moderne » ni une rançon de la « civilisation », elles sont en relation étroite avec une cause anatomique toute simple, la station debout, et l'action du poids du corps qui en est le corollaire évident.
[[asset:image:6361 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Les hommes préhistoriques avaient cependant de bons os, ce qui peut constituer un mystère car, en l’absence de produits laitiers, comment pouvaient-ils trouver dans leur alimentation la ration calcique suffisante : pour ingérer 1 g de calcium par jour, il faudrait manger 5 kg de viande par jour ou boire 10 litres d’eau calcaire !
[[asset:image:6366 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Les recherches paléopathologiques ont mis en évidence que le cancer était alors pratiquement absent, aucune tumeur cancéreuse ou myélome n’ayant été retrouvé. En revanche, on a retrouvé au Lazaret (Nice) un méningiome chez un enfant pré-néandertalien de neuf ans.
Enfin, les représentations de femmes, sculptées ou dessinées, par les Cro-magnons, ont permis d’observer chez leurs compagnes un surpoids certain, allant du simple embonpoint à l’obésité gynoïde.
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