Courrier des lecteurs

Les animaux malades de la peste

Publié le 26/04/2019

Cela fait 300 000 ans qu’homo sapiens est apparu sur terre, alors que notre médecine moderne n’existait pas encore. S’il n’avait pas été adapté à son milieu changeant, il y a longtemps qu’il aurait disparu ! Or depuis environ 50 ans, sans les politiques de santé aux mains des industriels, on a l’impression que l’avenir des humains serait une catastrophe à très court terme.

Les grands problèmes de santé de l’humanité, nomades devenus sédentaires ont été : la malnutrition, en partie résolue par la conservation des aliments, les maladies héréditaires, en partie résolues par le droit romain qui interdit le mariage consanguin jusqu’au deuxième degré (mais sans oublier que les dispenses étaient systématiquement accordées), les maladies infectieuses en partie résolues par l’hygiène individuelle et la gestion des déjections dans des villes au visage de plus en plus inhumain : la raréfaction récente des guerres a diminué leurs lots de morts et de polytraumatisés. Toutes causes, jadis, de mortalité précoce. Avec environ 45 % de mortalité avant 20 ans ! Mais on attribue volontairement et abusivement à la médecine, l’amélioration de l’espérance de vie de la première moitié du XXe siècle pour justifier les dérives actuelles.

Avec l’arrivée des vaccins pour les maladies infectieuses graves, des antibiotiques, de la chirurgie moderne, il était sans doute présomptueux de penser que notre médecine moderne progressivement justifiée sur les preuves, allait finaliser ce « droit à la santé » dont chacun rêve ; mais l’envolée des coûts, le déficit, « ce nouveau mal qui répand la terreur, cette nouvelle peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom) », a fait vaciller l’édifice. Il a suffi de généraliser à partir de quelques dysfonctionnements chez quelques médecins choisis (mais pas plus ici qu’ailleurs), et d’en faire le buzz. Depuis principalement les plans Juppé et suivants, les responsables désignés — « que le plus coupable de nous se sacrifie » — furent les médecins ; quant aux politiques, ils se sont publiquement auto disculpés avec la célèbre formule : « responsable mais pas coupable » une véritable ellipse du : « manger moutons, canaille, sotte espèce, est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur en les croquant beaucoup d'honneur… Tous au dire de chacun étaient de petits Saints. »

La résolution de cette nouvelle peste était donc évidente : diminuer le nombre de « ces pelés, de ces galeux d’où venait tout le mal », par numerus clausus, leur coller une enveloppe globale et transformer la SS en organisme de contrôles tatillons afin que les médecins n’offrent que « le juste soin au juste coût », débutant avec ces ineptes RMO qui ont fait long feu, en échange d’une ouverture des vannes du « droit aux soins » pour tous, mais droits sans devoirs, et donc sans aucune responsabilité. Le relais médiatique a tellement bien fonctionné que certains jeunes médecins d’aujourd’hui accusent les anciens d’avoir vécu honteusement du système : « Manger l'herbe d'autrui ! Quel crime abominable ! », que 84 % de la population demande de la coercition « à ces mots on cria haro sur le baudet » pour que ces nantis de médecins retournent dans ce qui a été politiquement désertifié, pendant que les politiques dépouillent progressivement « ce maudit animal » de ce qui lui reste de ses prérogatives — « Rien que la mort n'était capable d’expier son forfait » — pour les distribuer, qui aux pharmacien(ne)s, qui aux infirmier(ère)s, qui aux assistant(e)s… maintenant aux retraité(e)s ! « On le lui fit bien voir. »

Le désir naturel de chacun au droit à la santé a été politiquement dégradé en droit aux soins pour tous, alors que le droit aux soins n’est que la dernière étape du droit à la santé, alors que le vrai rôle du politique devrait être de contrôler l’accessibilité méritée de chacun à ce complet droit à la santé, qui, de tout temps, aurait dû être l’accès à la nourriture de qualité, d’un logement décent en coût et qualité, d’un travail, bien avant le soin médical qui n’est venu qu’en dernier, principalement, par défaillance des précédents. Qui peut nier que les coûts astronomiques de notre système de santé ne soient pas liés aux déficiences politiques de ces différents devoirs préventifs du soin ? Malbouffe, pesticides (mais offre-t-on autre chose?) ; absence de logements ou logements indignes non contrôlés et acceptés par les politiques par insuffisance de leur nombre ; pathologies organiques et psychologiques liées aux conditions de travail dites modernes ! Auxquelles se surajoutent les conséquences du dérèglement climatique de la Terre, notre boite de Pétri arrivée à saturation humaine ! Toutes raisons d’une perte de santé que l’on tente — politiquement — pratiquement et uniquement de résoudre par la dernière étape, étape qui aurait due devenir exceptionnelle, le soin médical, alias prescription. Les politiques n’ont-ils pas honte de se disculper et d’accuser les médecins des coûts exponentiels de la santé liés aux conséquences de l’obésité, l’HTA, le diabète, l’inactivité physique, le stress de la vie moderne et au travail avec son lot de burn-out, de suicides et de conséquences de l’utilisation de différentes drogues, pas seulement tabac et alcool, sans oublier la iatrogénie, tous facteurs dépendants du mode de vie qui nous est imposé par un système économique qui court, dit-on, dans une morosité de fin du mois et de fin du monde.

Alors que le rôle de ce qu’on appelait « médecin de famille » devrait être prioritairement d’observer, d’examiner, de converser de façon empathique, et seulement en dernier recours de traiter, cela afin de, prioritairement, garder, retrouver, prévenir ou limiter l’aggravation du potentiel santé du patient, il semble que ce que l’on attend, de celui qu’on appelle maintenant « médecin traitant », soit de le limiter progressivement à ce qui aurait dû devenir l’exception, c'est-à-dire de répondre seulement par un traitement au « droit aux soins »… En réalité, de le limiter à gérer par un acharnement thérapeutique coûteux, non pas ses patients mais la survie d'un système économique dépassé par ses erreurs, et qui refuse de mourir. Donc le limiter à être un agent au service de la SS (ce qui explique le souhait d’en devenir salarié), d’une SS gouvernée par le paradigme du coût par patient et par pathologie ET par médecin, ce qui a comme avantage de transférer subtilement toute la responsabilité sur le médecin. Mais sommes-nous aveugles ? Le coût de la recherche et de fabrication étant, le prix unitaire d’un médicament est fonction du nombre de « malades potentiels » (comme on dit)… Par mise en application du syndrome du kilo de plomb et du kilo de plume : divisons par 10 le nombre de diabétiques, il faudra multiplier par 10 le prix des nouveaux médicaments ! Alors, pourquoi faire d’une vraie prévention, ou plus exactement d’une éducation responsable à la santé une priorité ? Les malades sont un vrai troupeau de vaches à lait que l’on peut traire, de façon supportable par patient, pour financer la recherche, avec l’aide d’une éducation au droit à la santé en pratique abandonnée aux industriels faiseurs de fake news sous couvert de publicités, ciblées afin de grossir le troupeau. Avantage pour les médecins : plus il y a de malades, plus il est facile pour les médecins de satisfaire — par patient — les indicateurs financiers définis par la SS… « Biais statistique » organisé pour la survie du système, dirons-nous. Mais perversité oblige, au prix d’une surcharge de travail, responsable majeure de ce que les vierges effarouchées appellent pudiquement désertification. Adieu médecins au service des familles, bienvenue dans le monde des médecins traitants !

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Dr Yves Adenis-Lamarre, Angoulême

Source : Le Généraliste: 2871