Le grand âge romancé

Le renouveau des Anciens

Publié le 13/05/2019
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L13/05-Par-delà la pluie

L13/05-Par-delà la pluie

L13/05-Quelqu'un sous les paupières

L13/05-Quelqu'un sous les paupières

L13/05-La Voisine

L13/05-La Voisine

L13/05-Même les méchants

L13/05-Même les méchants

L13/05-Dunbar et ses filles

L13/05-Dunbar et ses filles

L13/05-Les sales gosses

L13/05-Les sales gosses

« La Voisine » (1) est un truculent roman de Yewande Omotoso, qui, née à la Barbade en 1980, a passé son enfance au Nigeria et vit désormais à Johannesburg. Le récit se déroule dans une banlieue cossue du Cap, dans une Afrique du Sud post-Apartheid où les tensions raciales ne sont pas apaisées. Les voisines sont deux octogénaires, l’une blanche et accrochée à ses privilèges caducs, l’autre noire, immigrée de la Barbade et mariée à un Blanc. Marion et Hortensia sont aussi deux femmes de caractère qui ont réussi dans leur profession. En remontant le cours de leurs longues vies, l’auteure nous amène à comprendre les raisons de leur hostilité réciproque dans une Nation arc-en-ciel complexe, jusqu’à ce qu’elles envisagent enfin de se remettre en question. Un régal de férocité et de drôlerie.

Présenté comme le cousin ibérique d’« Arsenic et vieilles dentelles », « Quelqu’un sous les paupières » (2) est le huitième roman de Cristina Sanchez-Andrade, le premier publié en France. Les Thelma et Louise qui embarquent en Coccinelle pour un road trip à travers la Galice ont partagé soixante ans de vie – Bruna est la servante de dona Olvido – et de terribles secrets sur fond de guerre civile, de complots partisans et de tensions politiques. Attifée l’une d’une robe de mariée et de pantoufles tandis qu’un manteau couvre à peine la chemise de nuit de l’autre, les octogénaires poursuivent une course folle parsemée d’aventures et de rencontres improbables, avec dans leur sillage de nombreux cadavres échappés du placard de leur passé. Une fiction cocasse et acide.

C’est au volant d’une flamboyante Datsun de 1967 qu'Helena et Miguel ont fui la maison de retraite andalouse où ils se sont rencontrés. Miguel, qui souffre de la maladie d’Alzheimer, souhaite retrouver un amour de jeunesse à Barcelone et sauver sa fille perdue à Madrid, tandis qu'Helena veut revoir son fils, installé en Suède. Les deux septuagénaires n’ont rien en commun, si ce n’est de crouler sous leurs souvenirs, qui ne sont que regrets et souffrances. Leur road trip plein de nostalgie brasse quantité de thèmes, dont bien sûr les traces laissées par la Guerre civile espagnole. « Par-delà la pluie » (3) est un livre fort, dense et profond, où deux êtres cherchent désespérément à refermer les blessures traumatisantes de l’enfance. Il est dans la lignée des précédents et formidables romans de Victor del Arbol, de « la Tristesse du samouraï » à « la Veille de presque tout ».

Romans feel good 

Les auteures françaises se sont tournées vers le roman feel good. Ainsi Anne-Gaëlle Huon, qui émeut les âmes sensibles avec « Même les méchants rêvent d’amour » (4). Une femme de 80 ans passés a consigné dans un carnet, avant que sa mémoire ne l’abandonne, ce qu’elle n’avait jamais osé raconter. Sa petite-fille, et le lecteur, découvrent ainsi l’histoire de sa vie et surtout son secret. Et s’il n’était pas trop tard pour réécrire le passé ?

De son côté, Charlye Ménétrier McGrath a concocté avec « les Sales Gosses » (5) une cure de bonne humeur et d’entrain. Les sales gosses sont-ils les cinq enfants de Jeanne, qui se sont ligués pour placer leur mère âgée de 81 ans en maison de retraite –  une mauvaise idée, car la maman va user de toutes les armes, comme simuler la démence, pour rendre dingues ces ingrats. Ou ne sont-ce pas plutôt les pensionnaires de ladite maison, qui se sont constitués en une joyeuse bande et sont toujours prêts à rigoler et à profiter du moment présent ?

Filles indignes

Lorsque l’écrivain anglais Edward St Aubyn (auteur de la série semi-autobiographique des « Melrose », adaptée à la télévision) prend comme héros un octogénaire, on est dans le drame à haut niveau. « Dunbar et ses filles » (6) est en effet un « Roi Lear » revisité. Les deux filles d’un magnat canadien des médias veulent prendre le contrôle de l’empire qu’il a créé. Sans informer leur demi-sœur Florence, répudiée parce qu’elle avait méprisé son argent, Abigail, amorale et immorale, et Megan, nymphomane et psychopathe, ont fait interner leur père dans une clinique isolée des montagnes du nord-ouest de l’Angleterre. Bien décidé à récupérer sa fortune, Henry Dunbar s’enfuit dans la nuit et la neige. Les deux félonnes accourent pour le retrouver et le neutraliser, mais aussi Florence, pour se réconcilier. Truffée de rebondissements loufoques, une tragicomédie qui met en scène des traits éternels, l’attrait du pouvoir et de l’argent, la trahison, la manipulation, la lâcheté, etc.

 

(1) Zoé, 288 p., 21 €

(2) Jacqueline Chambon, 304 p., 22,50 €

(3) Actes Sud, 448 p., 23 €

(4) Albin Michel, 368 p., 19,90 €

(5) Fleuve, 264 p., 17,90 €

(6) Grasset, 288 p., 20 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9749