Raphaël Carré, Adeline Clénet et Samuel Porteau sont trois jeunes praticiens du centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse. La question de la contention psychiatrique les taraude depuis leurs études de médecine, au point de devenir le sujet de thèse de R.Carré, coordonnateur de la première étude quantitative française publiée sur le sujet.Présenté le 17 janvier dernier à Toulouse, ce travail de recherche a été unanimement salué. « Je suis impressionné que de jeunes collègues s’engagent sur ces questions, et je me retrouve dans ce qui a été dit car je n’ai pas fait médecine et psychiatrie pour contenir et enfermer les gens », a pointé le Dr. Christian Muller, président de la conférence nationale des présidents de CME de centres hospitaliers spécialisés.
L’étude comble en effet l’absence de données chiffrées et récentes sur le sujet en France. Ponctuée d’une soixantaine d’entretiens avec des soignants et des patients psychiatriques, elle mesure aussi pour la première fois leur ressenti face à cette pratique si controversée.
Verdict ? Entre novembre 2016 et novembre 2017, 336 des 13 321 patients admis en psychiatrie dans onze établissements d’Occitanie adhérents à la FERREPSY, ont été exposés à la contention mécanique (la pose de 4 sangles) et 506 événements de recours à cette pratique ont été mesurés. Soit une incidence de 2,5 %, avec des recours plus élevés en urgences psychiatriques (6,9 %) contre 1,7 % dans les autres unités.
Les troubles schizotypiques et délirants surreprésentés
Selon l’étude, le patient type exposé à un épisode de contention est un homme âgé de 37 ans en moyenne, hospitalisé sous contrainte et qui souffre le plus souvent de troubles schizotypiques et délirants, suivis par des troubles bipolaires et de la personnalité. Les raisons qui conduisent à sa mise sous contention sont en premier lieu l’agitation (32,4 %) suivie par des menaces de violence envers les autres (19,4%), des passages à l’acte de violence envers les autres (17,8%), ou envers eux-mêmes (13%). Dans 74 % des cas, la mesure est appliquée en chambre d’isolement. 16 % des patients ne se voient pas administrer de traitement pendant cet épisode et dans 25 % des cas aucun médecin n’est présent au moment de la décision de mise sous contention. « Des constats qui interrogent, alors que la Haute autorité de santé préconise une évaluation médicale dans l’heure en pareil cas », pointe le Dr. Adeline Clénet.
Un traumatisme pour les patients
L’étude rapporte aussi l’expérience de contention de 29 patients âgés de 18 à 65 ans, et en phase de stabilisation clinique. « Ils décrivent un rapport de force avec les soignants, et très souvent le refus de prise de traitement comme l’évènement déclencheur », décrit le Dr. Raphaël Carré qui a mené ces entretiens. Pour ces patients, les sentiments de subir une domination, une punition parfois avec violence, prédominent. Des vécus traumatiques qui persisteraient bien au-delà de ces épisodes. « Certains patients gardent une cicatrice persécutoire, comme si les soignants étaient sciemment violents envers eux et leur reconstruction reste très négative », analyse le Dr. Carré.
Côté soignants, l’expérience laisse aussi des traces. Les 32 soignants (dont 15 médecins) interrogés dans l’enquête avaient vécu une expérience de contention dans les six mois. « Ils décrivent la peur et le fait de connaître ou pas le patient en amont, comme des facteurs déclenchant la prise de décision », raconte le Dr. Samuel Porteau. Une mise sous contrainte qui provoque un sentiment d’échec et de culpabilité parmi les soignants. « C’est traumatisant, violent, agressif (…) la mise sous contention est nécessaire parce qu’on est dépourvu », juge l’un d’eux. « Dans de nombreux cas, la contention a marqué une rupture dans le processus de soins et une sensation d’inefficacité pour les soignants », note le Dr. Porteau.
À l’écoute de ces travaux qu’il a qualifiés de « remarquables », le Pr Jean-Louis Senon, missionné pour mettre en œuvre le plan national pour la réduction des soins sans consentement, a tenu à rappeler que « depuis la loi de santé de 2016, la France a enfin reconnu que la contention n’est pas un moyen psychiatrique, mais un soin de protection. L’importance de développer les formations à la prévention de la violence et à la désescalade pour les soignants et de systématiser les séances de débriefing après ces épisodes est plus que jamais d’actualité. »
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