Rédigé au lendemain de la découverte des atrocités commises par les médecins nazis dans les camps de concentration, le « Code de Nuremberg » constitue le point de départ de la législation bioéthique internationale. Ses principes absolus, dont l’information et le consentement des personnes se prêtant à la recherche, forment désormais un rempart aux dérives de toute médecine qui, comme celle des nazis, s’affranchirait de ces règles.
En 1941, l’Allemagne installa dans Strasbourg occupée une « Faculté de médecine du Reich » en lieu et place de la Faculté française repliée à Clermont-Ferrand. Elle en confia les enseignements à une quinzaine de professeurs de renom dont trois, l’anatomiste August Hirt, l’interniste Otto Bickenbach et le virologue Eugen Haagen, pratiquèrent des expérimentations sur des prisonniers et des déportés du camp de concentration du Struthof, dans les Vosges alsaciennes.
Le Forum européen de bioéthique s’est penché sur les origines et les conséquences de leurs agissements. Comme l’ont rappelé les Pr Anne Danion et Jean-Marie Le Minor, respectivement pédopsychiatre et anatomiste, ces médecins longtemps présentés comme des « fous sadiques » étaient, au contraire, des scientifiques de haut niveau. C’est leur idéologie qui les amenait à considérer une partie de l’humanité, en l’occurrence les juifs et les Tziganes, ainsi que les handicapés mentaux, comme des individus « inférieurs » pouvant donc faire l’objet d’expérimentations sans précaution particulière.
Éviter l'oubli
C’est ainsi que Hirt fit tuer 86 déportés dans le seul but de constituer une collection de crânes juifs pour son institut, et mena sur d’autres des recherches sur l’ypérite, sans se soucier aucunement de leur sort. Bickenbach rechercha un antidote au phosgène en injectant de l’urotropine à certains déportés qu’il exposait à ce gaz, tout en laissant les groupes témoins sans protection. Haagen, considéré avant-guerre comme un des meilleurs virologues de son temps, se servit de déportés pour expérimenter un vaccin contre le typhus, d’ailleurs avec des résultats catastrophiques. Hirt se suicida en 1945, tandis que Bickenbach et Haagen, condamnés lourdement mais rapidement graciés, moururent dans les années 1970.
Après la révélation de ces crimes et les procès, le sujet sombra, à Strasbourg, dans un oubli relatif, voire un véritable refoulement. Le Struthof est loin d’avoir été le seul camp où des médecins pratiquèrent de tels actes : on peut ajouter Auschwitz et Dachau. Mais sa situation unique, dans la France occupée, y a compliqué les recherches historiques. Comme le regrettait le Pr Le Minor, cette situation a favorisé les rumeurs et les « on-dit », avec par exemple des polémiques autour des 86 corps entreposés par Hirt en anatomie : l’institut a été soupçonné d’en avoir gardé certains à des fins de dissection, alors qu’ils ont tous été enterrés dès 1945 au cimetière juif de Cronenbourg, à l’issue d’une procédure judiciaire très stricte.
Idéologisation de la médecine
Depuis une vingtaine d’années, une nouvelle génération de médecins, à l’image du psychiatre Georges Federmann, s’est interrogée plus globalement sur les facteurs qui ont rendu possibles de tels dévoiements, d’autant que la majorité des médecins allemands a adhéré sans trop d’arrières pensés aux thèses nazies. De même, le débat a rappelé que les notions d’eugénisme et de race étaient très prisées des médecins français et européens dès les années 1900 – à l’image des maîtres d’alors comme Carrel ou Richet.
Pour le Pr Danion, qui a dirigé en 2010 une thèse sur Haagen, les médecins doivent mieux connaître cette période afin de comprendre l’importance de rester vigilant face à toute idéologisation de la médecine, qui peut très vite, au nom de principes politiques ou philosophiques, s’égarer dans de tels comportements. Comme le rappelait d’ailleurs le Pr Nisand, « nos lois bioéthiques actuelles, issues de Nuremberg, protègent les populations occidentales, mais n’empêchent pas la tenue d’expériences dans des conditions éthiques souvent douteuses dans d’autres régions du monde ».
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