Entre la Vie et le Néant, à tout hasard appelons ce dernier la Mort, l'hésitation n'est pas permise, et le livre de Jean-Claude Carrière s'ouvre sur la joie qui accueille la venue d'un nouveau-né, sans que nous réalisions que cet être est « un futur cadavre ».
D'où un faisceau de questionnements qui lance d'éternelles interrogations philosophiques. « Pourquoi nous entêtons-nous, et depuis des millénaires, à transmettre à d'autres cette vie fragile et incertaine, encore et encore, en sachant que du même mouvement nous transmettons l'inquiétude quotidienne, la souffrance et enfin la mort ? ». Pourquoi l'obsession de « nous reproduire » ?
Ajoutons le long cortège de misères qui émaille toute vie humaine : accidents, maladies, deuils, déceptions et trahisons. Et pour faire bonne mesure, notons que nous sommes prisonniers d'un choix particulièrement pauvre : « C'est ça ou rien. » Bien sûr nous choisissons la vie pour échapper au néant, et nous ne manquons pas d'arguments pour contrer cette alternative un peu simpliste, voire désespérante.
D'abord on ne fait jamais rien si on commence par faire la liste des petits et grands inconvénients qui escortent nos actes. L'homme est mû par une force vitale, le conatus de Spinoza, qui le pousse vers le plaisir et la joie, force que l'on retrouve chez l'animal et en partie chez les végétaux.
Les philosophes ont beaucoup disserté sur l'idée du Néant, du Rien, notions qui, si on les prend à la lettre, nous enfoncent dans une contradiction en soi, irréductible : comment discuter sur le Rien ? Ici, une place importante doit être accordée aux conceptions de l'existence telles que la Religion a pu les dessiner et les imposer aux hommes pendant des siècles. Notre existence est marquée par le péché, nous devons expier, et avant tout constater que le corps est le mal absolu.
C'est en luttant contre ces visions du monde minorantes et déprimantes que Jean-Claude Carrière retrouve une éternelle raison de vivre qui est le plaisir même d'exister, peut-être la simple sensation du soleil sur sa peau, ou, plus profondément, la joie d'apprendre, de connaître. L'auteur a sur ces thèmes de très remarquables expressions : sans le plaisir, nous serions « parqués derrière les grillages de l'utilité » : le plaisir est « la parure du besoin » ; c'est « dans l'espérance, dans le désir d'un prochain plaisir que nous comptons les jours, et même assez souvent les heures ».
Mais de ce combat entre la brève jouissance et le Temps, nous connaissons le vainqueur : le bonheur ou le bien-être brûlent le temps, les plaisirs les plus vifs se dissipent en un instant, les heures bienheureuses passent plus vite que les autres, partout, inversement, la misère allonge les années. Insidieuse, la vieillesse peu à peu nous gagne.
Faut-il chercher un salut, ou tout au moins un réconfort, dans les légendes ou métaphysiques orientales dont Jean-Claude Carrière semble si friand ? Le titre du livre lui-même fait référence à une légende japonaise, et dans les Védas indiens, Krishna, qui est le dieu Vishnou descendu sur la terre, finit lui aussi par mourir.
Jean-Claude Carrière, « la Vallée du néant », Odile Jacob, 352 p., 22,90 €
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