2019 est l’entrée dans une nouvelle ère avec, entre autres, la télémédecine et les IPA. La médecine générale va enfin entrer dans la cour des grands. Celle des supermarchés qui ont tué le petit commerce de proximité et qui vident les centres-villes, celle des groupes nationaux qui ont tué l’artisanat et la paysannerie et qui vident les campagnes.
Le généraliste était encore un artisan, la maison médicale moderne va à son tour tuer le médecin de proximité ; proximité non pas en termes de kilomètres, mais en distance affective, « humaine ». Les patients ont pratiquement tous une partie essentielle d’eux-mêmes qui a besoin d’un ami, d’une confiance et d’une conscience, pour pouvoir dire l’indicible, sans que cela soit répété même sous forme de secret partagé, pour permettre une meilleure prise en charge médicale, dite globale. Globalité qui a pour tâche difficile de faire cohabiter science médicale, secrets, craintes et croyances du patient, afin de faire accepter à ce dernier la meilleure prise en charge pour lui-même. Il faut reconnaître qu’avec une formation uniquement scientifique des médecins, l’association science-humanisme est un échec total, du fait de la méconnaissance totale du fonctionnement des individus.
En ce moment, je fais une expérience de ce que sera la nouvelle médecine. Certes dans un autre domaine, mais qui peut servir de modèle. La serrure de ma porte d’entrée est en fin de vie, il faut la soigner. Plus d’artisans comme uniques interlocuteurs, il faut passer par une chaîne. Je vais donc en boutique, je suis reçu par la serrurière (…), scotchée à son ordinateur pour rédiger des protocoles. Pardon, des devis. On dit devis quand c’est le client qui paye, protocole quand c’est dame SS, privilège linguistique du prince.
J’ai donc fait une expérience de télémédecine : je suis venu avec le téléphone qui m’a permis de prendre en photo le malade et sa lésion sous tous les angles et ses mesures. Devis a été fait, signé, je passe sur l’oubli du rendez-vous de l'infirmier-serrurier chez son client – ça change de chez nous.
Bref, quand l’IPA envoyé par la serrurière est arrivé (pardon, l’employé) la première question qu’il me pose est :
- « C’est pour quelle porte ? »
- « Celle que vous venez de franchir »
- « Ah mais la patronne s’est trompée, elle ne m’a pas donné ce qu’il fallait, ça se voit au premier coup d’œil »
- « Mais pourtant, je lui ai montré les photos ! »
Expérience ratée de télémédecine ! L’infirmière (pardon, l’employé) n’a pas osé me dire que le médecin (pardon, la serrurière) n’y connaissait plus rien, sauf comparer ce qu’on lui dicte à son savoir livresque, et rien de pratique… Cette serrurière et sa boutique, experte en devis-facturation furent pour moi l’exact modèle de la médecine du futur : savoir livresque permettant l’élaboration de protocoles, utilisation d’assistants et IPA pour interroger, mesurer, peser, prendre la TA, examiner… et dire au médecin ce qu’il faut faire pour qu’il puisse donner l’ordre d’adresser au spécialiste ou d’autoriser les assistants à faire pansements, sutures… Et endosser la responsabilité de la décision conseillée par les autres. Mais, je l’avoue, ce n’est pas nouveau, quand j’étais interne en cardiologie, il y a longtemps, le patron de l’époque m’a avoué n’avoir jamais fait une piqûre de sa vie, pas même une IM, et qu’il n’allait pas commencer à se salir les mains…
Qui dit responsabilité (financière), dit revenus en conséquence. Comme la serrurière, le médecin gagnera beaucoup mieux sa vie que ses employés, non pas en travaillant plus, mais en travaillant différemment, victoire de ma médecine comptable, laissant en fait le travail pénible de médecin aux infirmières et assistants, qui eux, resteront avec un salaire digne… Disons pour ne pas reprendre les termes actuels, de ceux qui préfèrent un travail humain intéressant. En haut lieu, on dit que ce sera mieux que la meilleure médecine actuelle du monde, pour ne pas plagier Coluche.
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