Tout au long de l'histoire de l'Empire du Milieu, la médecine a joué un rôle important. A son origine, viennent s'associer trois empereurs légendaires :
- Fu -Xi, vers l'an 4000 avant J.-C., fut l'inspirateur du Yi Jing (Livre des Mutations) considéré comme le plus ancien livre chinois. Il est ainsi à l'origine des "Huit Trigrammes" symboliques composés de traits superposés, pleins ou brisés en leur milieu représentant les aspects de l'univers en mouvement. Les traits pleins symbolisent le principe masculin (yang), les traits brisés le principe féminin (yin) et l'alternance de ces deux principes régit l'univers.
[[asset:image:6706 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]- Shennong (ou Shen Nong), qui régna vers 2800 avant J.-C., considéré comme le père de l'agriculture et de la phytothérapie, fut surnommé le " grand devin " ou encore " le divin laboureur ". On lui doit l'invention d'un système de comptage à l'aide de nœuds sur des cordes. Mais, surtout, il enseigna la culture des plantes, compilant plus de cent remèdes d'origine végétale dans un texte intitulé Pen-ts'ao king ou Shen Nong Ben Cao Jing ((Traité des herbes médicales). Ce manuscrit a malheureusement disparu on n'en connait l'existence que par les commentaires qui en ont été faits par des médecins du Ve siècle. C'est ainsi qu'on peut attribuer à Shennong l'introduction de la pytothérapie et les techniques de la pharmacopée.
- Huang Di (2 698-2 599 avant J.C.), l'Empereur Jaune, inventa les vêtements, les noms de famille, les rites. Son nom est aussi attaché à la création de l'écriture. Tsang-Kie, son devin, aurait imaginé les caractères chinois en observant les traces des pattes des oiseaux. La légende veut que le devin, doté de deux paires d'yeux, pouvait scruter les phénomènes et les choses au-delà des apparences et percer les secrets du monde. Huang Di aura surtout transmis à son peuple les fondements de la médecine chinoise et de l'acupuncture à travers deux textes : le Nei Jing Sowen (Canon interne de l'Empereur Jaune: questions et réponses), œuvre collective datée de l'an 2600 avant J.C. et le Nei Jing Ling Shu (Canon interne : pivot sacré ) rédigé à la même époque.
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Les 365 remèdes du Traité des herbes médicales
Le Canon interne de l'Empereur Jaune est constitué, selon la la légende de discussions entre l'empereur Jaune et son subordonné Qi Bo sur la prévention des maladies et la protection de la santé. Bible des étudiants et experts chinois en médecine, ce classique présente de manière détaillée la dissection, la physiologie, les pathologies, les diagnostiques, la prévention et le traitement. Le Pen-ts'ao king ou Shen Nong Ben Cao Jing ((Traité des herbes médicales), quant à lui, recense 365 drogues minérales, végétales et animales qui sont classées en: inoffensives ; qui aident l'organisme à lutter contre la maladie, la fièvre et la mort; utiles pour combattre la maladie sous contrôle; et, enfin, efficaces mais toxiques.
Avec l’époque des Printemps et Automnes (770 - 476 av. J.-C.) se termine la phase de développement strictement empirique de la médecine qui s'organise et trouve sa cohérence. Cette mutation va se poursuivre poursuit durant la période dite des Royaumes Combattants (475 - 221 av. J.-C.).
L’œil céleste de Bian Què
C'est vers le Ve siècle av. J.-C.) qu'apparaît l'un des plus grands noms de la médecine chinoise, Qín Yuè Rén plus connu sous le nom de Bian Què. Grand expert dans le diagnostic, Il était particulièrement doué dans la palpation du pouls. Maîtrisant quasiment toutes les spécialités, en particulier la gynécologie et la pédiatrie, il s’opposa aux pratiques médicales basées sur les superstitions et la sorcellerie.
[[asset:image:6716 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Plusieurs faits rapportés dans « Shih Chi » ou «Les mémoires historiques », écrit par Sima Qian, semblent montrer que Bian Que possédait des pouvoirs surnaturels dûs à un homme qui lui aurait donné une potion secrète mélangée à de l'eau « qui n'aurait jamais touché le sol », comme la rosée. Trente jours après avoir suivi les conseils de Zhang Sangjun, Bian Que pouvait ainsi voir à travers les murs et à l'intérieur des corps humains. Un jour, alors que Bian Que passait dans l’Etat de Guo, il vit un enterrement. Un fonctionnaire l’informa que le prince royal était subitement mort, et qu’ils allaient le mettre dans un cercueil pour l’enterrer. Se tenant debout près de la porte du palais, Bian Que affirma que le prince n'était pas vraiment mort et qu’il reviendrait à la vie. Le fonctionnaire ne le crut pas, bien évidemment, mais Bian Que insista : « Essayez juste ceci. Demandez à un médecin de faire un diagnostic. Lorsque le prince entendra des voix, il remuera son nez et sa bouche. D’ailleurs vous pourrez sentir son aine encore chaude ». Le pouvoir de l’œil céleste de Bian Que reste encore de nos jours un mystère. Certains attribuent aussi à Bian Que le Nan Jing, Classique des Difficultés.
Zou Yan (vers 305-240 av. J.-C). introduisit, pour sa part en Chine la théorie des Cinq éléments qui se développera sous les Han et imprègnera tous les systèmes de connaissance, dont la médecine et l’alchimie, associant, par exemple, un organe à un point cardinal, une saison, un goût etc. Parallèlement, la médecine chinoise se tourna alors vers l’étude des poisons, des remèdes végétaux et minéraux, la diététique, la recherche des drogues d’immortalité, la pratique des techniques respiratoires, de la culture physique et la sexologie.
Durant la dynastie Quin (221-206 av J.-C.), l'empereur Qín ShI Huáng Dì regroupa autour de lui un grand nombre de savants, médecins et alchimistes leur donnant pour mission d'améliorer la longévité et même de rechercher l’immortalité. Mais, sanguinaire et paranoïaque, il fit décapiter de nombreux lettrés et ordonna un gigantesque autodafé auquel n'échappèrent que quelques ouvrages de médecine, d’agronomie et de divination sont épargnés.
Les trois figures tutélaires de la dynastie Han
La dynastie Han s'étendit entre 206 av.J.-C. et 220 apr. J.-C. Trois figures tutélaires se détachent de cette période :
- Chúnyú yì (216 av. J.-C. –167 av. J.-C.) était à la fois médecin et... chef des greniers publics. Il a laissé une liste des maladies qu’il était capable de soigner, le nom de ses maîtres, de ses malades et de ses livres, ainsi que ses diagnostics et les traitements prescrits. À travers ses observations (anamnèse, examen clinique, diagnostic, pronostic, traitement, pathogénie, discussion des symptômes et justification de traitements), on reconnaît des maladies comme la cirrhose du foie, l’hernie étranglée, le lumbago traumatique, l’abcès péritonéal, l’angine infantile, la pyélonéphrite, la congestion pulmonaire, la goutte, paralysie progressive, l’hémoptysie.
- Zhang Zhòng Jing, qui influenca toutes les autres générations de médecins chinois, jusqu’à aujourd'hui, a mérité le surnom d' "Hippocrate chinois ". Inventeur de la symptomatologie et de la thérapeutique chinoise, il est le premier à avoir nettement différencié les symptômes Yang des symptômes Yin. C’est lui qui rédigea le Shanghán zá bìng lùn (Traité de la fièvre typhoïde et des diverses maladies). Cet ouvrage fut ultérieurement scindé en deux : Shang han lun (Traité du froid nocif) et Jin kuì yào lüè fang (Traité des prescriptions de la chambre d’or). Le médecin y décrit diverses sortes de fièvres, fait la distinction entre maladies aiguës et maladies chroniques et recherche la cause de nombreuses maladies. Ces deux livres décrivent les quatre examens (observation, olfaction, interrogatoire et palpation), les huit principes diagnostiques (Yin, Yang, superficie, profondeur, froid, chaleur, vide et plénitude) aisi que les huit méthodes thérapeutiques (sudorification, vomification, purgation, réchauffement, clarification, harmonisation, dispersion et tonification).
[[asset:image:6726 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]- Huá Tuó (110-207 après J.-C.) est connu pour être le fondateur de la chirurgie traditionnelle chinoise. C’est lui qui a notamment introduit l’anesthésie dont il est question pour la première fois dans le livre « Hou Han Shu » : « Si l'acupuncture et les médicaments ne peuvent pas guérir les malades, nous pouvons demander au patient de recourir au vin pour être anesthésié. Quand il perd conscience, nous pouvons alors ouvrir son ventre et enlever la tumeur ». Quant aux pratiques opératoires, Huá Tuó indique que « Si la maladie se situe au niveau des intestins et de l'estomac, nous pouvons faire une incision et examiner l’endroit où la personne est malade, puis enlever la partie qui est malade pour ensuite recoudre la plaie. Après avoir mis un onguent sur la plaie, la personne sera guérie en quatre ou cinq jours et recouvrira sa santé au bout d’un mois. ». Comme ses contemporains ne comprenaient pas comment Hua Tuó connaissait exactement l'endroit où il allait inciser, notamment dans les opérations du ventre, ceux-ci déduisirent que Hua Tuo possédait le pouvoir de l’œil céleste. Nombreuses furent les relations de ses interventions (laparotomie, lithotomie, greffes d’organes, résections intestinales...) faites sous anesthésie générale au chanvre indien (cannabis indica). Il aurait encore inventé la suture, des onguents contre les inflammations, des traitements contre les ascaris et aurait été le premier à choisir la phalange comme unité de mesure. Il préconisait la balnéothérapie et l’hydrothérapie.
Véritable légende, on attribue à Huá Tuó un nombre incalculable de guérisons miraculeuses et aujourd'hui encore, en Chine, lorsque l’on veut flatter un médecin on lui donne le surnom de « Huà Tuó vivant »… Huá Tuó est également connu dans l’histoire de l’obstétrique pour avoir diagnostiqué la mort intra-utérine d’un jumeau aux hémorragies consécutives à la naissance d’un premier enfant. Il soulagea la parturiente par acupuncture avant de retirer l’enfant mort-né dont le corps était déjà noir.
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Le plus vieux livre d’acupuncture jamais écrit
Sous la dynastie des Jin de l'Ouest (265-316), Huangfu Mi a publié le Zhenjiu jiayy jing (Classique d'acupuncture et de moxa), le plus vieux livre sur l'acupuncture jamais écrit. Dans cet ouvrage, qui a eu une grande influence sur l'acupuncture moderne, Huangfu donne le nom de 349 points d'acupuncture, leur localisation exacte, les indications et méthodes de manipulation. Huangfu Mi a repris des informations traitées par HuangDi dans son livre Huangdi Neijing, ce qui explique la présence du nom de Huangdi dans le titre.
Wáng Shuhé (210-280) élabora, lui, le Mài jing (« Traité des vaisseaux sanguins/pouls ) qui sera traduit en tibétain, arabe et persan pendant le Moyen Âge. Traduit en latin et en langues vulgaires occidentales, il influencera aussi les pulsologues des XVIIe et XVIIIe siècles.
L’âge d’or du taoïsme
C’est également sous la dynastie Han que le taoïsme, entre le IIe siècle av. J.-C. et le VIIe siècle ap. J.-C., va connaître son âge d’or. Les recherches en matière de pharmacopée et de médecine constituent une bonne part des activités de nombreux maîtres taoïstes. Dans la préface du Commentaire du Traîté des matières médicinales de Shennong, Tao Hongjing précise que cet ouvrage s’adresse autant aux pratiquants de la Voie qu’à ceux qui cherchent un remède. Son Rapport sur l’entretien du principe vital pour prolonger la vie est d’ailleurs inclus dans le canon taoïste.
L’un des taoïstes les plus connus de la période qui s’étend de la fin des Han à la dynastie des Sui est Ge Hóng (283-343). Il est l’auteur de deux livres qui font encore référence aujourd’hui : Zhou Hou Bei ji Fang (Prescriptions d’urgence) et le Bào Pu Zi Nèi Pian (Ecrit interne du maître qui embrasse la simplicité). Obsédé par les élixirs de longue vie et de préservation de la santé, Ge Hóng, non content d’être un remarquable pharmacologue, se révéla être aussi un ancêtre de l’immunologie… On lui doit également la description de la variole (500 ans avant Rhazès) introduite dans l’empire par les Huns, de la tuberculose, de la peste, de l’hépatite virale, de la lymphangite aiguë.
Une pilule d’immortalité
Ge Hong a mis aussi un point d’honneur de mettre à la disposition de tous les malades des remèdes bon marché et faciles à trouver. Il soigne ainsi l’ictère épidémique par l’armoise, la rhubarbe et le gardénia ; l’asthme se guérit par l’éphédra, la cannelle, la réglisse et l’amande d’abricot ; l’ascite par le draba, l’euphorbe et le daphné. la jusquiame est, elle, employée dans les démences ; Il préconisait également les badigeons au soufre et à l’ail dans la prévention des morsures de tiques et des bouillottes d’eau chaude sur le ventre dans les gastro-entérites.
Alchimiste à ses heures, Ge hong conçut enfin une pilule d’immortalité à base d’or, de mercure, de jade, de soufre, de cinabre et d’orpiment, le tout dissout ou mélangé dans des préparations végétales.
(A suivre )
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