Comme l’illustrait récemment le 20e Observatoire de la sécurité des médecins du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), les violences contre les médecins sont en hausse.
Pour lutter contre ce phénomène qui impacte tous les soignants, Agnès Firmin Le Bodo a lancé en début d’année une concertation sur la sécurité des soignants. Nathalie Nion, cadre supérieure de santé de l’AP-HP, et le Docteur Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins, étaient chargés de formuler des propositions. Ils ont remis leur rapport au ministère de la Santé ce 8 juin.
« Agnès Firmin Le Bodo a souhaité que les propositions formulées dans le rapport puissent adresser deux échelles de temps : des solutions prioritaires pouvant être mises en œuvre rapidement pour répondre aux situations urgentes d’ores et déjà identifiées, et des propositions s’inscrivant dans un temps long pour lutter contre les violences dans la durée et adapter au long cours de nos réponses », souligne le ministère dans un communiqué.
Au total ce sont 44 mesures qui sont avancées autour de six grands axes : agir sur les déterminants des violences, acculturer les professionnels, mieux objectiver les faits de violences internes et externes, accompagner et soutenir les victimes, préparer les futurs professionnels, communiquer auprès de tous les acteurs.
Les 44 propositions font « l’objet d’une analyse approfondie », des ministères concernés mais François Braun et Agnès Firmin Le Bodo indiquent déjà que certaines « ont particulièrement retenu leur attention ». Ils citent : le déploiement de dispositifs d’alerte portatifs pour les professionnels exerçant de façon isolée, la formation initiale et continue des soignants et personnels d’accueil pour mieux gérer l’agressivité éventuelle de leurs interlocuteurs, l’amélioration de la réponse pénale et un meilleur accompagnement des victimes dans leurs démarches judiciaires.
Vidéo-surveillance, alarme silencieuse et vigiles
Dans le détail des 44 propositions, plusieurs concernent la médecine de ville. La proposition 15 du rapport porte ainsi sur le financement de dispositifs de protection et d’alerte.
« Les situations d’isolement des professionnels sont nombreuses et concernent la ville et l’hôpital. Le financement de dispositifs de vidéo-surveillance ou d’alerte doit être proposé en cohérence avec les contextes locaux. Des financements via les régions, des partenariats public-privé pourraient soutenir cette ambition », évoquent les auteurs du rapport.
Selon eux, la question de l’éclairage public doit aussi être abordée, « son extinction augment le sentiment d’insécurité », argument-ils.
Outre la vidéo-surveillance pour sécuriser les salles d’attente mais aussi les zones de circulation, le rapport évoque aussi des alarmes silencieuses dans des lieux comme les maisons médicales de garde ou les centres de soins non programmés.
Pour les MMG et les centres de consultations ouverts le soir et le week-end, le rapport suggère une aide financière pour permettre la présence d’un agent de sûreté aux abords du centre médical ou à l’entrée de la salle d’attente.
« À l’instar de ceux existants pour les femmes victimes de violences conjugales, des applications sur Smartphone, des dispositifs connectés et géolocalisés portés ou dissimulés (type bracelets, bijoux... qui ne nécessitent pas de se saisir d’un téléphone, ce qui n’est pas toujours possible) d’appel au secours ou tout autre moyen d’alerte doivent être accessibles aux professionnels exerçant dans des secteurs, zones ou dans des créneaux horaires plus à risque », avance également le rapport.
Permettre aux libéraux de bénéficier de l'outrage
Le rapport propose également d’aller plus loin en matière de protection et de réponse pénale.
Dans l’évolution des textes en vigueur, il recommande d’aggraver la peine pour vol qui serait « commis dans un lieu où sont prodigués des soins ou qu’il porte sur du matériel de soins ».
Autre évolution, considérer que tout professionnel de santé est chargé d’une mission de service public.
« Ainsi, les professionnels de santé libéraux de l’exercice de ville bénéficieraient des diverses dispositions de protections pénales renforcées. Actuellement, ils ressentent une discrimination par rapport à leurs confrères exerçant en établissement de santé public ou privé », souligne le rapport.
Par exemple, un professionnel libéral, s’il exerce aussi en établissement bénéficiera de l’outrage, alors que s’il exerce en cabinet ou dans le cadre d’un déplacement à domicile ce n’est pas le cas.
« Or, les signalements remontant sur la plateforme- signalement de l’ONVS (Observatoire national des violences en santé) montrent que les outrages représentent 56 % des atteintes aux personnes dans le cadre de l’exercice libéral, tandis que ce chiffre descend à 39 % dans les établissements », précise le rapport.
Faciliter l’accès à un avocat, faire connaitre les dispositifs de soutien psychologique ou encore impliquer systématiques les ordres professionnels dès qu’une plainte est déposée, font aussi partie des recommandations.
Formations en hors quota du DPC
Plusieurs propositions visent aussi à agir en amont des violences. La première proposition du rapport consiste à identifier les secteurs de soins à risque augmenté.
« Pour la ville, sans établir une liste exhaustive, les unités mobiles de l’Hospitalisation à Domicile (HAD), le SMUR, les Centres Médico-Psychologiques, les unités mobiles de psychiatrie, les IDE libérales, les dentistes, les médecins isolés ou les médecins des structures de soins non programmés, en particulier les associations de permanence de soins réalisant des visites à domicile, les masseurs-kinésithérapeutes, les pharmaciens d’officines semblent plus à risque. Les professionnels de santé exerçant en ville, souvent isolés, ne bénéficient pas du cadre collectif hospitalier, plus protecteur », détaille le rapport.
L’objectif est également de renforcer les politiques de prévention à destination des publics identifiés comme plus à risque d’avoir des comportements violents à l’encontre des soignants, ceux souffrant d’addictions par exemple.
Un axe important du rapport est celui de la sensibilisation et de la formation de tous les professionnels de santé.
« Si des méthodes certifiées faites par des soignants pour des soignants existent, elles ne sont pas dispensées dès la formation initiale et ne sont pas généralisées. Ces méthodes sont pourtant efficaces, rassurantes et appréciées des professionnels de santé titulaires qui ont pu les suivre. Ainsi, les professionnels de santé devraient être formés pour gérer les comportements violents et agressifs, notamment la communication efficace, la gestion des conflits, la médiation et la résolution de problèmes », souligne le rapport.
Pour les professionnels libéraux, il suggère notamment de passer en hors quota les formations DPC qui rentrent dans l’orientation prioritaire 295 « gestion pratique de la violence et de l’agressivité du patient et de son entourage ».
La synergie des systèmes de déclaration des violences, déjà entamée, est recommandée par les deux rédacteurs du rapport, tout comme l’engagement de travaux de recherche sur la santé des professionnels de santé ou le lancement d’une campagne nationale pour mettre fin au « médecins-bashing ». Ils appellent aussi à renforcer les moyens de l’ONVS (Observatoire national des violences en santé).
Protéger les étudiants en stage
Enfin, tout un volet du rapport concerne les futurs professionnels de santé. Pour les préparer face à ces violences mais aussi les en prémunir sur leurs lieux de stage.
Ainsi une des propositions recommandent pour tous les maîtres de stage une formation adaptée sur les violences sexistes et sexuelles. Par ailleurs, les chartes enseignants-étudiants-encadrants devront systématiquement intégrer des engagements réciproques autour des notions du bien-être des étudiants en stage. Les livrets d’accueil devront systématiquement préciser les numéros des contacts locaux « Qualité de vie des étudiants et étudiantes en santé ». Les auteurs du rapport appellent également à améliorer la visibilité de la CNAES (Coordination nationale d’accompagnement des étudiants et Eétudiantes en santé) et à protéger les lanceurs d’alerte.
Les 44 propositions du rapport vont alimenter le plan de lutte contre les violences faites aux soignants que le gouvernement présentera début juillet.
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