Une repousse rapide et vigoureuse chez la souris

En topique, des inhibiteurs de kinase spectaculaires dans l’alopécie

Publié le 26/10/2015
Article réservé aux abonnés

Le principe est simple, réveiller les follicules capillaires en « dormance ». Une équipe de dermatologues à l’université de Columbia montre dans « Sciences Advances » comment elle est parvenue à restaurer une repousse capillaire rapide et vigoureuse, ce que personne n’avait réussi à obtenir de cette façon jusqu’à présent.

Il faut dire que les molécules utilisées ont de quoi surprendre. Il s’agit de deux inhibiteurs de la Janus kinase (JAK) déjà commercialisés, le ruxolitinib (Jakavi) dans les syndromes myéloprolifératifs et le tofacitinib (Xeljanz) dans la polyarthrite rhumatoïde, tous deux habituellement d’administration orale. Utilisés en topique, ces deux anti-enzymes se sont révélées spectaculaires dans la pousse des cheveux. « Il y a très peu de composés qui peuvent faire entrer les follicules capillaires dans leur cycle de croissance aussi rapidement, explique le Dr Angela Christiano, l’auteur senior et elle-même très chevelue. Des agents topiques ont induit des pousses de cheveux éparses ici ou là après quelques semaines, mais très peu ont un effet aussi puissant et rapide. »

Sérendipité

Pourquoi avoir pensé à choisir ce type de médicaments au profil a priori surdimensionné pour la perte de cheveux ? La sérendipité est à l’œuvre une fois de plus. Deux cas cliniques publiés en 2014 avaient mis la puce à l’oreille, l’un dans le « Journal of Investigative Dermatology » chez un patient traité en simultané avec du tofacitinib pour un psoriasis en plaque et une alopécie universalis et l’autre dans « Nature Medicine » par l’équipe même du Dr Christiano. Les dermatologues américains, qui travaillaient sur une forme d’alopécie très particulière dite « aerata » à composante auto-immune, avaient prouvé que les inhibiteurs de JAK bloquaient le signal auto-immun. L’observation scientifique était corroborée par les cas de repousse obtenue chez quelques patients chauves traités par voie orale notamment par du ruxolitinib.

Cette fois-ci, l’équipe américaine est allée bien plus loin. L’effet sur l’auto-immunité n’est pas le seul phénomène à l’œuvre et il existe une action directe supplémentaire au niveau des follicules. Au cours de leurs expériences, la preuve d’un effet indépendant de l’auto-immunité s’est imposée. Les scientifiques ont eu l’agréable surprise de constater que la repousse pileuse chez la souris était bien plus importante si le médicament était administré localement plutôt que par voie générale. En y regardant de plus près, ils ont pu voir que les inhibiteurs de JAK poussaient les follicules à passer en phase anagène.

Les chercheurs ont réalisé toute une série d’expériences chez la souris et sur des morceaux de scalps humains, récupérés lors des procédures de chirurgie de la greffe de cheveux. Les souris étaient rasées sur le dos et la repousse des poils était observée par le noircissement cutané. Les souris étaient traitées par topique (ruxolitinib ou tofacitinib) sur la moitié du dos et par un placebo sur l’autre moitié. Pour les tissus humains, les follicules capillaires étaient récupérés après dissection puis mis en culture avant d’être injectés en sous-cutané sur le dos chez des souris tolérantes à la greffe du fait d’une immunodépression naturelle, des souris nude et SCID (« severe combined immunodeficiency »).

Des traitements coûteux

L’alopécie androgénique est caractérisée par une incapacité à réinitialiser une entrée en phase anagène en raison d’une miniaturisation du follicule capillaire. Pour l’instant, la plupart des médicaments utilisés, comme le minoxidil, consistent essentiellement à freiner la chute et de façon inconstante à stimuler la repousse. Pour l’instant, même s’il est probable que les inhibiteurs de JAK en topique soient efficaces en clinique, ils n’ont pas été testés chez l’homme. « Ce que nous avons trouvé est très prometteur, même si l’on ne sait pas encore si c’est efficace dans l’alopécie androgénétique masculine, explique le Dr Christiano. Il faut travailler à tester les formulations d’inhibiteurs de JAK destinées au cuir chevelu pour savoir s’ils peuvent induire la croissance capillaire chez les hommes ». Le prix élevé de ces médicaments innovants pour une indication d’alopécie sera une autre barrière à lever, un comprimé de tofacitinib coûte environ 15 euros et un de ruxolitinib environ65 euros.

Sciences Advances, publié en ligne le 23 octobre 2015
Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du Médecin: 9444