Quand je me suis installé, il y avait « trop » de médecins, trop de dépenses de santé. Les réponses simplistes à court terme furent le MICA, les RMO à connotation punitive, et autres joyeusetés non positives, dont les politiques de l’époque se sont réjouis des pseudo-bons résultats. Pseudo car masqués par un financement à coups de CSG puis RDS dite temporaire. À cette époque, nous pratiquions une médecine humaniste avec un brin de preuves scientifiques médicales montantes. Aujourd’hui, nous sommes à l’autre extrême, dans une médecine scientifique avec un reste d’humanisme en chute libre, encore plus coûteuse financièrement. Pire, désastreuse au niveau de la souffrance morale, ce dont se plaignent de plus en plus de patients, mal-traités et maltraités, surtout ceux qui sont en état de faiblesse par leur maladie, à une époque où la confiance ne peut plus être naturellement imposée du fait de la diffusion des informations. La communication avec les patients est quelque chose de bien spécifique, très individuelle, une parole qui peut sembler banale pour l’un peut être une parole assassine pour l’autre. Loin de nous est la sagesse asiatique du yin-yang, trop récente les mêmes découvertes de co-construction de l’épigénétique qui s’appliquent aussi aux relations humaines dans le cadre d’une unité des mécanismes biologiques fondamentaux, pour comprendre que science et humanisme, prescriptions et communication sont les deux facteurs indissociables de la médecine, et ne forment qu’un tout… Pour être économiquement fonctionnelle. C’est en cela que la médecine est un art. Au siècle dit de la communication, on croit pouvoir faire l’impasse sur les relations humaines : un comble !
La course politique à l’économie est caractérisée par l’invraisemblable dichotomisation de la médecine. D’un côté remboursement du seul scientifiquement validé par les preuves du moment ; de l’autre non remboursement du temps pour la communication, d’où sa disparition, les patients qui en ont besoin se retournant alors, vers les florissantes pseudo-médecines parallèles en tout genre, les revues pour femmes, les forums de patients qui décuplent avec des inconnus les effets des antiques « conseils de la concierge », avec toutes les conséquences que l’on connaît. L’exception du remboursement de la première consultation d’annonce d’un cancer confirme la totale incompréhension des décideurs, en imposant dans une seule unité de temps et de moment ce qui revient, et pas seulement en une seule fois, de la décision et de la possibilité d’acceptation du patient en co-association avec son médecin. Tous les patients, les cancers et leur annonce ne sont pas identiques. Se baser sur la standardisation du haut de la courbe de Gauss pour imposer une décision administrative, c’est sacrifier ceux qui se trouvent en dehors et qui demandent plus de temps. Le temps, c’est de l’argent, et supprimer ce qui coûte du temps est de l’absurdité la plus totale. Et vouloir interdire les fakes, c’est revenir au temps de l’inquisition, c’est reconnaître son incapacité à communiquer pour faire adhérer à ses vues sans les imposer, par absence de savoir faire, par absence de temps, pire par absence de compréhension de la nécessité de communication bienveillante bidirectionnelle individualisée.
J’oserais une comparaison avec nos médecins scientifiques de la société, qui sont un effrayant modèle aux médecins scientifiques des individus ! L’absence de suffisamment de pédagogie pour accompagner les réformes dont ils se confondent en excuses de façon récurrente, en explication des explosions sociales, est l’équivalent de l’absence de temps donné aux médecins pour qu’ils puissent écouter, comprendre, expliquer et accompagner dans un climat empathique « gagnant-gagnant » avec leurs patients. Quand un politique dit « je vous entends » sans avant, dire ni montrer « je vous écoute », il dit qu’il comprend sans écouter, il montre qu’il n’entend que le brouhaha de la grogne, il démontre son incapacité d’accompagnement humain. L’être humain comprend qu’il n’existe pas, qu’il est seulement un numéro statistiquement exploitable. D’un côté on sort d’une crise à coups de distributions financières, de l’autre à coups de prescriptions médicales inutiles. Une étude du dernier BMJ montre qu’au Royaume-Uni, entre 2000 et 2016 on passe d’un facteur 15 à un facteur 50 ! Dans les cas extrêmes, ça se termine souvent devant les tribunaux, et mal pour celui qui a la fonction de responsable et qui manque d’humilité.
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