Le récit d'une émancipation

Devenir médecin coûte que coûte

Publié le 06/11/2020
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Dans Baume du tigre, Lucie Quémérer, fille d’une mère d’origine chinoiseet d’un père breton, raconteen bande dessinée le parcours d’une jeune femme issue de l’immigration qui décide de devenir médecin malgré la désapprobation familiale.

Bord de mer, chemin de campagne, ciel dégagé. Les premières pages de l’album s’ouvrent sur Edda, une jeune femme qui apprend avec émoi, en récupérant le courrier, qu’elle a réussi le concours d’entrée en médecine. Pourtant, quelques heures plus tard, lorsqu’elle annonce la nouvelle à ses trois sœurs, sa mère, son oncle ainsi qu’à son grand-père Ald, celui-ci réagit avec la colère et la brutalité que tout le monde lui connaît dans la maison. Immigré chinois et patriarche tyrannique, il refuse catégoriquement que ses petites-filles tournent le dos au restaurant familial pour suivre des trajectoires personnelles. Le vieil homme considère d’ailleurs que devenir médecin permet juste de « nourrir son ego ». Ramener de l’argent à la maison « n’est pas le rôle d’une femme », selon lui.

Dans un premier temps, l’héroïne et ses sœurs se mettent en grève (l’une ne mangera plus, l’autre cessera de parler, la troisième de se laver…) pour obtenir le droit de choisir enfin leurs fréquentations, leurs vêtements, et bien sûr leurs études. Mais elles doivent rapidement se rendre à l’évidence, l’aïeul despotique ne pliera pas. Elles fuguent donc pour rejoindre la capitale.

Héritage culturel

Lucie Quéméner, dessinatrice et scénariste de 22 ans, est issue de l’Académie Brassart Delcourt. L’album, paru dans la collection Mirages des éditions Delcourt, est sa première publication et a remporté, le 8 juin 2020, le prix BD des étudiants de France Culture. L’artiste confie au Généraliste que brosser le portrait d’une jeune femme qui veut devenir médecin s’est présenté comme une évidence. Il était en effet intéressant à ses yeux, « pour parler d’émancipation, de choisir un métier hautement qualifié, donc plutôt difficile d’accès ». Par ailleurs, décrire un tel parcours lui a permis de mettre en lumière « le fossé qui sépare les vieux migrants chinois des jeunes générations ». Ce fil rouge lui a enfin donné l’occasion, en tant qu’artiste sensibilisée à la question des inégalités hommes/femmes, d’évoquer sur plusieurs planches le sexisme parfois observé dans le milieu du soin.

Au fil de son évolution, Edda prend rapidement conscience qu’elle ne cherche pas à gagner plus d’argent, obtenir de meilleurs horaires ou intégrer un établissement prestigieux. Sa priorité se situe dans la nature même de sa pratique : elle rêve d’associer aux compétences acquises lors de ses études celles de la médecine traditionnelle asiatique. Forte des connaissances que va patiemment lui inculquer sa grand-mère, elle parvient donc à ouvrir un cabinet qui lui permettra de faire son métier en mettant à profit son héritage culturel. C’est ainsi que l’héroïne parvient à tendre la main au vieux Ald et à atteindre une paix intérieure. 

Baume du titre, éditions Delcourt,  254 pages, 23,95 euros


Source : lequotidiendumedecin.fr