Il y a un lien entre Castor de Guerre consacré à Simone de Beauvoir et l’Eglantine et le Muguet qui paraît dix ans plus tard.
Danièle Sallenave. En un sens, oui ! Le propos de l’Eglantine, c’est de retrouver dans le passé la source de grandes questions qui hantent la France d’aujourd’hui : la question coloniale, la question sociale, la question religieuse. Je suis donc revenue dans mon pays natal pour examiner les choix de la République, ses oublis, ses aveuglements. Ses contradictions terribles. La guerre de Vendée, qui a laissé des traces dans cette région. Son souvenir a servi au XIXe d’appui à une reconquête catholique. De même, dans Castor de Guerre, une grande question était celle du communisme, et du devenir des utopies révolutionnaires. Nous en payons les conséquences aujourd’hui.
Si l’on continue à évoquer les points communs, il y aussi ce pacifisme d’avant-guerre partagé par le couple Sartre-De Beauvoir et votre père.
Sans aucun doute. Ce pacifisme de la gauche d’avant la guerre est aussi une des contradictions de l’esprit républicain, incapable de saisir la nature du régime nazi. Mais parler de ses parents n’abolit pas la nécessité d’une distance, d’un certain secret. Je n’aime pas l’idée de demander des comptes à ses parents. Je n’aime pas cette supériorité qu’on prend sur les morts. Mon père, officier de réserve, a quitté le camp pour aller travailler. Pourquoi ? Il ne supportait pas la morgue des officiers d’active, il a préféré se retrouver au milieu des artisans, des paysans, son milieu d’origine. J’avais quatre ans quand il est revenu de captivité. Et Il y là une zone d’ombre que nous n’avons jamais réussi à percer.
L’écriture est plus directe dans L’Eglantine et le Muguet. Elle relève parfois de l’intervention.
C’est un choix : celui que j’ai fait d’abolir le plus possible la distance entre le style écrit et le style parlé. Je devais toucher deux types opposés de lecteurs. Ceux de ma région natale, qui connaissent très bien les lieux et la plupart des événements dont je parle. Et ceux qui ne les connaissent pas du tout parce qu’ils sont d’ailleurs ! Il fallait donc donner de la vie, de la réalité à ces villages, à ce bocage, aux vignes et aux mines d’ardoise. J’ai choisi de me mettre en scène pour faire sentir le charme du sol du climat, de la végétation. Mais ce n’est pas pour autant de l’histoire locale : je raconte une histoire qui est la nôtre. Vue d’en bas, par en dessous. Je ne veux pas d’une posture de surplomb ou d’historienne.
Est-ce que la Vendée est votre Saint-Germain-des-Prés ?
Non ! La Vendée est un lieu chargé d’une histoire douloureuse qu’un (e) républicain (e) doit assumer. Dans Castor de guerre, Saint-Germain des prés est un lieu mythique, lié à la joie de la Libération. Mais curieusement, c’est aussi le nom du village du Maine et Loire où ma grand-mère a eu son dernier poste d’institutrice. Quand je suis arrivée à Paris, j’ai été très étonnée que le quartier du Flore porte le nom du village de ma grand-mère, et non du contraire !
Votre livre est aussi un chant pour cette école publique, laïque en combat permanent contre l’école privée, confessionnelle. Les instituteurs sont-ils une profession déclassée ?
L’école laïque est le fondement des institutions républicaines. Le citoyen libre, c’est le citoyen éclairé, dit Condorcet. L’évolution qu’elle a subie l’a affaiblie et la figure même de l’instituteur en a pâti. Croyant s’adapter à son époque et à ses nouveaux publics, elle s’est livrée à une sorte de dépréciation masochiste. Lorsque Lionel Jospin, ministre de l’Education déclare que, s’adressant à des élèves en masse, l’école ne peut plus être la même qu’au moment où elle s’adressait à un petit nombre, il commet deux erreurs. Petit un, l’école primaire s’adressait à tous avec pour mission d’assurer à tous des bases extrêmement solides. Il fallait prolonger ce mouvement puisque l’obligation scolaire était prolongée. Et donc renforcer encore l’école primaire. C’est alors que, sur cette première erreur, se greffe une deuxième : la disparition des écoles normales d’instituteur. Il aurait fallu les ouvrir au-delà du baccalauréat, mais continuer d’en faire un lieu de formation généraliste des instituteurs, dans toutes les disciplines qu’ils auraient à enseigner. Ce n’est plus le cas. On devient instituteur avec des licences spécialisées. L’école primaire est à refonder totalement. Les instituteurs ont voulu être des professeurs des écoles, mais un instituteur est bien plus qu’un professeur ! Il institue, il construit. L’école de notre époque ne peut plus être une force d’émancipation.
Comme la lutte pour les indépendances, les combats émancipateurs se sont soldés par des échecs…
Souvent, oui! Mais justement, nous devons tenir compte des erreurs, et des échecs pour proposer de nouvelles utopies. Je ne cherche pas à restaurer un passé disparu, mais à en tirer la leçon. Je ne crois plus à un prolétariat qui sauvera le monde. Et je ne veux pas d’un progrès, marche ascendante vers la lumière, qui s’est traduit parfois en réalisations sanglantes. Mais je ne renonce pas à l’idée que des progrès sont possibles, et dans de très nombreux domaines : plus de justice sociale, plus d’émancipation pour les femmes. Je retrouve mon Castor de guerre ! Quel progrès pour le bien public, la paix sociale, et l’intégration de tous, qu’une école primaire refondée !
L'Eglantine et le Muguet, Danièle Sallenave, 544 pages, 22,50 euros.
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