C'est à travers les Vedas (la connaissance), textes à l’origine de la pensée et des religions indiennes datant du IIe millénaire avant J.-C. que peut se reconstituer l'histoire de la médecine en Inde, née sur les bords du Gange, aux confins de l'Himalaya. A l'origine, la pratique médicale se trouvait entre les mains des prêtres et consistait en pratiques purement magiques. Cette période nous est connue par le premier et le quatrième Veda, l'Atharvavéda et le Rigvéda.
Des dieux guérisseurs
[[asset:image:6911 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Alors que le premier n'est qu'une suite d'incantations, d'hymnes conjuratoires, d'exorcismes insipides, assez semblables aux pratiques magiques égyptiennes ou mésopotamiennes, le Rigveda se révèle beaucoup plus intéressant, les plantes médicinales y jouant déjà un rôle notable. L'invocation revêt le plus souvent la forme d'une prière, d'une humble supplication adressée aux dieux guérisseurs qui abondent dans le panthéon indien. Ainsi, le dieu liturgique Agni, le feu personnifié, était-il sans cesse imploré, conservateur de l'existence et ami des malades, et, comme tel, qualifié le plus grand des dieux. Soma, la libation, la liqueur de vie, les deux Açvins étaient d'autre dieux, souvent invoqués dans les livres de médecine, mais moins que Roudra, possesseur des remèdes puissants, « le plus médecin des médecins ». Dhanvantari est, lui, le médecin des dieux. Ce fut lui qui, avec l'assentiment de Brahma , révéla aux hommes la médecine qui lui permit d'abréger, en raison de la faible intelligence dévolue aux humains, les connaissances immenses que Brahma avait pris la peine de réunir en un corps de doctrines. Dès lors la science médicale allait évoluer de pair avec l'organisation de la société brahmanique.
L’ayurveda, science de la durée de la vie
La médecine traditionnelle indienne est née avec l'Ayurvéda, mot qui signifie science de la durée de la vie, ou Véda de la longue vie, considéré comme une annexe de la littérature védique, avec la musique, l'art militaire et les arts plastiques; ce sont là les quatre upavédas ou védas secondaires. L’Ayurveda aurait été transmis par les Rishis, sages vivant dans l’Himalaya qui étaient à l’origine sept et formaient la constellation de la Grande Ourse. L'un d'entre eux, Bharadvaja, aurait transmis cette science des royaumes des Dieux. L'Ayurveda, comme l'ensemble des Vedas, est dit nityam et apaurusheyam (littéralement : éternel et non-créé par l'homme, donc révélé).
Les premiers textes védiques décrivaient un âge d’or où les êtres puisaient directement leur force, leur santé, dans celles de la nature. Cette situation changea, lorsque les populations vivant au pied de l’Himalaya commencèrent à souffrir de différentes maladies dues à une mauvaise alimentation, et à l’altération de la qualité de l’air et de l’eau. On décida de réunir scientifiques et médecins provenant de différents pays afin de s’enquérir auprès des divinités de cette connaissance de la vie. C'est alors que se développa l’Ayurveda.[[asset:image:6921 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]
La littérature ayurvédique se divise en six Samhitas (« traités » ou « collections »), qui prennent chacun le nom de leur auteur. Les trois premiers, dont les auteurs sont Charaka, Sushruta et Vagbhatta, sont les plus importants et forment la Brhattrayi, « les trois majeurs » de l'Ayurveda, tandis que les trois derniers forment la Laghutrayi, « les trois mineurs »
Les trois textes majeurs de l’Ayurveda
- Le Charaka Samhita est le texte fondateur de l’Ayurveda. Il traite principalement du diagnostic et du traitement des maladies par la médecine interne (Kaya Chikitsa).
- L'Ayurvéda de Sushruta est divisé en six parties (Sthâna) dont les titres sont :
1- Sûtrasthâna, livre des principes;
2- Nidânasthâna, pathologie;
3- Çarirasthâna, anatomie;
4- Chikitsitasthâna, thérapeutique;
5- Kalpasthâna, toxicologie;
6- Uttaratantra, dernier traité ou traité par excellence.
[[asset:image:6916 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Les traités de Charaka et de Sushruta ont joui d'une grande réputation chez les Arabes et au Tibet, dès le VIIe ou le VIIIe siècle; ils étaient connus jusqu'à Bagdad dans des traductions persanes. Rhazès leur fit de larges emprunts; le nom de Sushruta se trouve mentionne comme celui d'un médecin de notoriété, dans une inscription du Cambodge qui date de 890 environ. Le plus ancien document écrit rapportant les travaux de Sushruta est le Manuscrit Bower, daté du IVe siècle, le plus vieux manuscrit sanscrit connu, comme l'expliquent Dwivedi & Dwivedi, dans History of Medicine : Sushruta, the Clinician-Teacher par Excellence (2007) :
« La principale voie de transmission du savoir au cours de cette période a été la tradition orale. La langue utilisée était le sanskrit - le sanskrit védique de cette période (2000-500 avant J.-C.). La plus authentique compilation de ses enseignements et de ses travaux est actuellement disponible dans un traité appelé Sushruta Samhita. Il contient 184 chapitres et la description de 1 120 maladies, 700 plantes médicinales, 64 préparations de substances minérales et 57 préparations à base de substances animales. »
Le Vagbhatta Samhita est considéré comme une présentation organisée et structurée de la connaissance présentée dans la Charaka Samhita et la Sushruta Samhita. On ne sait de l'auteur que ce qu'il en dit lui-même dans son livre, c'est à dire qu'il porte le nom de son grand-père, que son père se nommait Sinha Gupta, et qu'il est né dans le pays de Sindh. Ce résumé simplifié des deux premières compilations est encore utilisé aujourd'hui dans de nombreuses universités indiennes.
Les trois textes mineurs
- Le Madhava Nidana Samhita couvre la classification des maladies et de leurs symptômes.
- Le Sharngadhara Samhita contient la description des préparations ayurvédiques utilisées au cours du Panchakarma et détaille les étapes du diagnostic par le pouls.
- Le Bhava-Prakasha Samhita détaille, en plus de 10 000 vers, les caractéristiques de nombreux aliments ainsi que de certaines plantes et minéraux.
Dès cette époque, la médecine traditionnelle indienne a identifié la toux, la consomption, la diarrhée, l’œdème, l’abcès, les convulsions, les tumeurs et les maladies de peau (y compris la lèpre), les fièvres intermittentes, rémittentes et éruptives, les fièvres continues, les affections scrofuleuses et rhumatismales, les dermatoses, le diabète sucré, le choléra, les hémorragies, les maladies mentales, les maladies des yeux dont 76 variétés sont décrites par Sushruta. Le traitement des affections complexes - y compris l’angine de poitrine, le diabète, l’hypertension artérielle et les calculs - ont également été pratiqués au cours de cette période, la chirurgie plastique, la chirurgie de la cataracte, la ponction pour l’évacuation des fluides contenus dans l’abdomen (ascite), l'extraction des corps étrangers, le traitement des fistules anales, le traitement des fractures, l’amputation, la césarienne et la suture des plaies étaient connus. L'usage des herbes et des instruments chirurgicaux se sont généralisés.
La médecine indienne fait école dans toute l’Asie avant de se répandre dans le monde arabe
L’Ayurveda, vers 200 avant J.-C. va se développer de pair avec les différentes religions indiennes (hindouisme, bhramanisme, shivaïsme….). Avec la diffusion du Bouddhisme, l’Ayurveda va toucher une bonne partie de l’Asie, de l’Afghanistan à la Chine antique : certains principes de l’acupuncture chinoise sont directement issus de l’Ayurveda. De même, la médecine tibétaine, partage avec l’Ayurveda la plupart des remèdes fabriqués à partir de plantes poussant dans l’Himalaya, connues depuis des millénaires pour leur puissant effet curatif. La médecine grecque antique, en décrivant le corps et les tempéraments à travers les humeurs bileuse, flegmatiqueou sanguine, va puiser également aux sources de l'Ayurveda.[[asset:image:6926 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]
Au IVe siècle après J.-C., le pèlerin chinois Fa Hsien écrivit sur le système de soins de santé de l’Empire des Gupta (320-550), décrivant notamment le processus de l'approche institutionnelle de la médecine indienne tel qu'il apparaît dans les œuvres de Charaka qui mentionne une clinique et décrit son équipement. Les ouvrages médicaux de Sushruta et de Charaka furent à leur tout traduits en arabe au cours du califat des Abbassides (750 et parvinrent en Europe par cet intermédiaire. Ainsi, en Italie, la famille Branca de Sicile et Gaspare Tagliacozzi de Bologne se familiarisèrent avec les techniques de Sushruta, notamment pour les opérations de chirurgie plastique et la reconstruction des nez amputés.
La profession médicale pendant la période védique
A l'origine, en Inde, le médecin se confondait avec le prêtre, simple conjurateur ayant le monopole des pratiques magiques pour la cure des maladies, la communication de leur savoir aux profanes étant sacrilège. Puis les brahmanes pratiquèrent la médecine avant que les médecins soient choisis dans les trois classes supérieures : brahmanes, kchatriyas (caste guerrière) et vaisyas (caste des laboureurs). L'instruction médicale, selon Sushsruta, pouvait même être donnée aux membres de la caste des soudras, mais avec, des restrictions notamment pour la révélation de certaines formules, conjuratoires.
Les ouvrages de Charaka et de Sushruta renferment des pages entières sur les droits et devoirs des médecins. Le tableau que fait l'Ayurvéda des qualités physiques, morales et intellectuelles dont doit faire preuve le médecin est d'une grande noblesse qui fait évoquer naturellement le serment d'Hippocrate. Il y a une telle similitude dans les deux textes qu'on peut se demander si l'un n'aurait pas été le plagiat de l'autre sans qu'on puisse savoir lequel a été le premier rédigé.[[asset:image:6931 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]
Les règles de la déontologie sont exposés au jeune étudiant (brahmacâri ). Son initiation se fait dans un cadre religieux et solennel, fixée par les rites. Elle avait lieu, dit Charaka, après le choix fait par l'élève d'un maître présentant toutes les garanties désirables et des traités qui lui semblaient nécessaires, parmi ceux alors en circulation. Cette'initiation, pour laquelle tout un matériel de vases, d'ornements, de cordons d'investiture, etc., était fourni par le candidat en même temps que des présents pour le maître, avait toujours lieu à une saison bien précise, à un moment déterminé du mois et durait quatre jours. C'est en terminant cette cérémonie religieuse que le maître, amenant son disciple devant l'autel, après avoir fait avec lui plusieurs fois le tour du feu sacré, prononçait la formule du serment, auquel l'élève promettait de rester fidèle.
Un enseignement théorique et pratique
L'enseignement était à la fois théorique et pratique. Les cours étaient interrompus plusieurs fois par mois, selon le cours de la lune ou en cas de signe néfaste. Les textes appris par coeur d'abord étaient ensuite abondamment discutés. L'enseignement clinique consistait dans la visite des malades, que les élèves faisaient avec leurs maîtres qu'ils suivaient dans leurs voyages. Les exercices pratiques étaient consacrés à la chirurgie et, comme on n'osait pas toucher aux cadavres, des simulacres d'opérations étaient réalisés sur les écorces des gros fruits, sur des tiges creuses, des fruits vidés, remplis d'eau. Les sutures, par exemple, étaient faites sur de larges feuilles d'arbre.
Toutes les qualités requises chez le disciple devaient se retrouver chez le praticien. Chaque fois qu'il devait entreprendre une opération importante, il récitait des mantras dont il connaissait toute la puissance. Il se devait d'être bienveillant et bon. Malgré cela, il y avait toute une catégorie de malades qu'il ne soignait pas : les ennemis du roi, les gens de mauvaise vie, ceux qui versaient le sang des animaux sans scrupules, et enfin les incurables, par souci pour sa considération. A ses yeux, c'était, comme dit Hippocrate, « demander à l'art ce qui n'est pas de l'art ». Il semble même qu'ils évitaient de prolonger la vie des gens notoirement malsains ou incapables de tenir leur place dans la société. Les honoraires variaient suivant la condition des clients, parmi lesquels les brahmanes, les maîtres, les parents, les amis intimes et les pauvres devaient être soignés gratuitement, en vue de préparer le médecin,après cette vie, à l'affranchissement final.
(À suivre)
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