« Parler de caresse dans le monde hospitalier paraît encore aujourd’hui tabou, obscène, hors sujet ». C’est le terrible constat que dresse Véronique Lefebvre des Noëttes, psychiatre et gériatre depuis plus de 35 ans dans un grand hôpital public de la région parisienne, dans son essai La Force de la caresse. Tandis que la main qui caresse est un outil merveilleux dans la prise en charge des plus fragiles – l’auteure a également écrit Que faire face à Alzheimer ? et Vieillir n’est pas un crime –, elle rappelle que le toucher reste, dans nos sociétés modernes, le plus réprimé de tous nos sens. Et que la mécanique des soins prend trop souvent le pas sur la chaleur humaine.
L’auteur tient à faire le distinguo entre toucher-massage, toucher relationnel (une méthode qui consiste à soulager la douleur physique ou morale en instaurant un climat favorable grâce au toucher) et caresse empathique, la troisième pratique intégrant « une part émotionnelle, sensorielle et vitale ». Et quand bien même le toucher dans les soins est bel et bien enseigné en tant que toucher-massage ou toucher relationnel depuis les années 2000 dans certains instituts de formation en soins infirmiers, de nombreux « obstacles individuels, collectifs et organisationnels » font barrage, selon elle, aux gestes tendres dans l’univers de la santé.
« Rassembler les corps et les esprits morcelés »
Véronique Lefebvre des Noëttes a pourtant pu constater dans son unité cognitivo-comportementale que la caresse empathique apaisait, chez les malades d’Alzheimer, les troubles du comportement productifs (délires, hallucinations, agressivité verbale ou gestuelle, agitations, déambulations). Ce lien intime permettrait ainsi de « rassembler les corps et les esprits morcelés » par la maladie d’Alzheimer. Elle rappelle par ailleurs que les massages, le toucher et les caresses ralentissent le rythme cardiaque, diminuent la tension artérielle, agissent sur les ondes cérébrales à l’électroencéphalogramme et provoquent la baisse de cortisol.
Sa riche expérience l’amène aussi à témoigner du fait que, pour un nombre non négligeable de mourants, la tendresse physique permet de partir dans la sérénité. Elle se souvient par exemple de Violette, 91 ans, atteinte de la maladie d’Alzheimer, qui a pu s’éteindre dans la quiétude grâce aux caresses de la gériatre sur ses mains et son visage alors qu’elle manifestait, peu de temps avant, un inconfort manifeste.
En dépit de nos connaissances sur les nombreuses vertus du toucher, notre société évolue-t-elle dans le bon sens ? Celle qui interroge la télémédecine – par définition sans contact physique – avec circonspection s’insurge aussi contre les projets de mains robotisées, notamment aux États-Unis et au Japon, imaginées pour remplacer le contact humain. Et revient sur les graves dérives éthiques récemment engendrées par la pandémie de Covid : personnes âgées ayant subi l’absence de contact physique pendant de longs mois, malades réduits à l’isolement sur leur lit de mort tandis que les familles étaient « retenues aux portes des services ».
Les lecteurs quelque peu frileux sur le sujet refermeront cet ouvrage avec la conviction que la tendresse physique a toute sa place dans le soin des plus fragiles.
Céline Reichel
La Force de la caresse, Véronique Lefebvre des Noëttes, éditions du Rocher, 200 pages, 17,90 euros
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