PAR RAPHAËL AMAR*
AVEC PRES de 3 000 praticiens (1), la France regroupe un tiers des orthoptistes européens et se place en tête des pays à plus fort effectif. Cette particularité justifierait-elle également la spécificité de la réponse « française » apportée aux problèmes de délivrance de soins oculaires ? Probablement. Entre polyvalence d’exercice et hyperspécialité, les orthoptistes salariés et libéraux dessinent, aux côtés des ophtalmologistes et des opticiens, le nouveau visage de notre filière visuelle.
Une légitimité d’action « sous contrôle ».
Dans le prolongement du rapport remis par le Pr Yvon Berlan (2) en 2003, les orthoptistes ont vu leur domaine de compétences s’élargir en 2007 (3). Certains actes d’investigations non invasives, de réfraction et de pose de lentilles de contact ont été clairement précisés, tout en maintenant la condition du salariat.
Les résultats d’une enquête réalisée par le Dr Richard Gold sur les habitudes des ophtalmologistes publiée en décembre 2009 (4) reflétaient assez bien cette nouvelle tendance. Les ophtalmologistes interrogés se faisaient aider par des orthoptistes dans près de 66 % des cas. Onze actes étaient délégués pour les ophtalmologistes ayant répondu à ce questionnaire (cf. encadré).
Les actes ajoutés dans le dernier décret de compétences sont cependant autorisés pour l’orthoptiste uniquement sous le statut de salarié de l’ophtalmologiste, ce qui souligne le caractère médical du transfert de compétences. En effet, aucune nomenclature orthoptique ne correspond à ces actes délégués et ce n’est que le médecin qui peut coter l’acte au sein d’une activité libérale de type BNC, SCM ou encore SELARL. Si les deux syndicats représentatifs des orthoptistes ont saisi l’opportunité qui leur a été offerte, certains craignent que ces délégations de tâches s’accompagnent, à terme, d’un transfert de leur mode d’exercice libéral vers le mode salarié, et perdent ainsi leur autonomie d’exercice. Cette situation semble avoir justifié pour d’autres la demande d’une nomenclature appropriée ainsi qu’une ré-indéxation des honoraires et de la grille salariale des personnels des cabinets médicaux.
Répondre à une demande de soins sans cesse croissante et à une démographie médicale en baisse.
La croissance de l’activité ophtalmologique n’a jamais été aussi importante. Ne serait-ce qu’en 2009, on aurait opéré une cataracte par minute, réalisé une chirurgie réfractive toutes les trois minutes et un acte technique diagnostique en rapport avec l’œil toutes les 4 secondes. Des chiffres impressionnants qui auront tendance à augmenter dans les années à venir : +13 % d’augmentation enregistrée par CCAM en 2008 pour les actes portant sur l’œil (examen fonctionnel et direct de l’œil) et +27,5 % pour les actes d’imagerie, les photographies et les angiographies (5).
Des estimations prévoient également une diminution démographique de 1 500 ophtalmologistes d’ici 2020 avec un passage à 42 à 45 millions d’actes contre environ 32 millions réalisés actuellement (6).
Pour le SNOF, la collaboration ophtalmologistes-orthoptistes est désormais reconnue comme la seule souhaitable et viable pour l’avenir de la filière visuelle française. « Elle permettra d’absorber dans les trois prochaines années 3 à 4 millions de consultations », calcule le syndicat, « ce qui réduira d’autant le délai chez l’ophtalmologiste » (6). Le SNOF retient également que « les pouvoirs publics mettront en place des dispositifs d’aide pour favoriser ces collaborations, notamment en secteur I ». Malgré une revendication des optométristes de France, le refus de voir apparaître une quatrième profession dans la filière visuelle a été clairement exprimé.
Bonnes intentions et optimisme.
Lors de la première journée du SNOF consacrée à la délégation de tâches en ophtalmologie, Mme Annie Podeur, directrice de la DGOS (Direction générale de l’Offre de soins) a annoncé que la réforme des études des orthoptistes serait mise en place « rapidement » dans le but de renforcer leur formation. Par ailleurs, une volonté des pouvoirs publics d’augmenter significativement le nombre d’orthoptistes a été réaffirmée. Un décret en ce sens est attendu prochainement. De telles évolutions permettraient peut-être d’intégrer le cursus universitaire LMD (licence-maîtrise-doctorat) adopté sur le plan européen.
Cette réunion a été l’occasion de souligner l’article 51 de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) : « par dérogation aux conditions aux conditions légales d’exercice, les professionnels de santé peuvent s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet d’opérer entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de réorganiser leur mode d’intervention auprès du patient ». Cet article ouvre des perspectives intéressantes pour les professionnels de la filière visuelle car il permet de développer de nouvelles façons de coopérer entre professionnels et d’élargir certaines pratiques isolées à des échelons plus grands au niveau territorial. Ainsi, des protocoles de coopération sont soumis par les professionnels le désirant aux Agences régionales de santé (ARS), qui vérifieront si ces protocoles répondent à un besoin ressenti au sein du territoire de santé (7). Si c’est le cas, l’ARS transmettra le protocole à la Haute Autorité de santé (HAS) avant éventuelle autorisation de mise en œuvre de la coopération.
Dans le cadre de la loi HPST, le développement professionnel continu devient également une obligation pour tous les professionnels de santé, comme l’article 19 le précise : « Le DPC a pour objectifs l’évaluation des pratiques professionnelles, le perfectionnement des connaissances, l’amélioration de la qualité et la sécurité des soins ainsi que la prise en compte des priorités de santé publique et la maîtrise médicalisée des dépenses de santé ».
Réforme des études, croissance démographique, développement de nouvelles formes de collaboration et formation continue seront les ingrédients essentiels au déploiement de notre profession en plein essor. Le renforcement de nos prérogatives est amorcé.
*Orthoptiste libéral, chargé d’enseignement, hôpital américain de Paris, Neuilly-sur-Seine, et Clinique de la Vision, Paris.
(1) CNAM (Dress, Adeli)
Observatoire de la CCAM, compte rendu de la réunion du 5 mars 2009.
(2) « Coopération des professions de santé : le transfert de tâches et des compétences » Rapport d’étape présenté le Pr Yvon Berlan. Octobre 2003.
(3) Décret n° 2007-1671 paru au Journal Officiel de la République française le 27 novembre 2007 (Modification du décret n° 2001-591 paru le 2 juillet 2001).
(4) « Habitudes des ophtalmologistes français fin 2008 », Réflexions ophtalmologiques, N° 130, décembre 2009.
(5) Le Quotidien du Médecin du 17 septembre 2010.
(6) Le Quotidien du Médecin du 22 septembre 2010,
(7) www.has-santé.fr
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