PRESSÉ de questions par ses arrière-petits-enfants, le bisaïeul Maurice Tubiana prend la plume pour leur raconter une histoire passablement immorale : comment, née en Europe il y a cinq siècles, la science a métamorphosé la condition humaine, faisant passer l’espérance de vie en France de 27 ans au XVIIIe siècle à 81 ans en 2007, repoussant l’âge de la sénescence, permettant, grâce aux technologies de la mécanisation, de supprimer l’esclavage, le servage, le travail des enfants, bref, promouvant de concert dignité humaine et progrès de la civilisation. Et comment, malgré un tel bilan, la science se heurte aujourd’hui à une hostilité de plus en plus systématique, que ce soit de la part du grand public, ou des juridictions appelées à intervenir lors d’affaires retentissantes. Médecin, biologiste, physicien, l’ancien directeur de l’Institut Gustave-Roussy (IGR) de Villejuif, pionnier mondial de la radiothérapie appliquée à la lutte contre le cancer, lauréat des prix internationaux les plus prestigieux, a donc décidé d’endosser sa tenue de « croisé de la science » pour monter à l’assaut du « précautionnisme » ambiant et autres dérives écologistes qui, selon lui, menacent de nous renvoyer au fin fond du Moyen Âge.
De l’art à la science.
Cette apologétique de la science en péril commence par une vaste fresque historique. Depuis Thalès (VIIe siècle avant Jésus-Christ), Pythagore (VIe siècle avant J-C) et Euclide (IIIe siècle), on passe à Copernic et Newton, avec la naissance de la science expérimentale. Cette méthode qui, grâce à l’analyse rigoureuse des observations et des expériences, élabore des explications validées par de nouvelles expériences et va porter la physique au sommet de sa gloire. La découverte des rayons X (1895), la radiobiologie, la découverte de la radioactivité et l’essor de la physique contemporaine, avec la théorie de la relativité, la mécanique quantique, toutes ces avancées de la physique, note Maurice Tubiana, auront été acquises en mettant en cause les notions issues des sensations et des théories antiques, avec une extraordinaire audace intellectuelle.
Dans cette foulée épistémologique, appliquant à leur tour la démarche scientifique, les sciences du vivant ont pris leur essor sur le tard, raconte le Pr Tubiana, qui évoque son témoignage direct : « Quand j’étais étudiant en médecine en 1937, la médecine était un art ; les médecins, grâce à une grande culture et une mémoire constamment mise à jour, cherchaient leur inspiration dans l’évocation de cas semblables et le souvenir des échecs et des succès. Progressivement, à partir de 1950, la médecine est devenue scientifique. On a donné la priorité à l’étude des maladies sur l’étude des malades, on a étudié ce que tous les malades atteints d’une même maladie avaient en commun sur le plan biologique, plutôt que ce qui distinguait les malades les uns des autres ; on a introduit grâce à la statistique médicale et aux essais cliniques des critères établissant la supériorité de certains traitements. Le diagnostic, puis le traitement sont désormais fondés sur des critères objectifs et la comparaison des séries de malades plus que sur l’étude des cas individuels. »
Écologisme et précautionnisme.
Or, paradoxalement, s’indigne Maurice Tubiana, c’est au moment où la méthodologie scientifique a pénétré tous les aspects de la santé, apportant un énorme accroissement de l’efficacité médicale, que s’est fait jour un phénomène d’hostilité à l’encontre de la science et du progrès. « Après avoir eu peur, pendant des millénaires, de la nature, des bêtes sauvages, des inondations et des famines, nous avons aujourd’hui peur de notre puissance jugée excessive. » Responsable numéro 1 de ce renversement, l’« écologisme ». Cette idéologie, explique Maurice Tubiana, considère que toutes les espèces vivantes doivent être également respectées. Elle s’oppose aux produits phytosanitaires et aux insecticides, en oubliant qu’ils permettent d’éradiquer paludisme, dengue, typhus ou maladie du sommeil. Autre ennemi déclaré de la science et des scientifiques, le « précautionnisme », qui « suscite la peur et le rejet de toutes les nouveautés techniques, indistinctement, n’étant pas capable de différencier un risque minime (1 sur 10 millions) d’un risque faible (1 sur1 000) ».
Le dernier chapitre du livre déroule la liste des dérapages qui se multiplient : rejet par l’Europe des OGM, pourtant moyen de lutte contre la faim dans le monde, et alors que, selon Maurice Tubiana, « les rapports des académies excluent que les organismes modifiés puissent être à cause de leur mode d’obtention, dangereux pour la santé » ; subvention de l’agriculture biologique, « qui diminue d’environ 30 à 40 % les rendements et ne présente aucun avantage sanitaire » ; promotion de la « biodiversité sentimentale », par exemple avec la réintroduction des ours dans les Pyrénées, « qui ne présentent aucun avantage sanitaire et aggravent la précarisation de l’agriculture de montagne ».
Quelques affaires retentissantes témoignent, selon l’ancien patron de l’IGR, du terrorisme antiscientifique de l’époque : la vache folle, avec des mesures qui ont coûté, assure-t-il, « plus de 1 milliard d’euros par an », alors qu’« on a observé environ un cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob par an et que l’on aurait pu juguler le danger avec des dépenses dix ou cent fois plus faibles » ; la vaccination contre l’hépatite B, arrêtée dans les écoles après un cas unique de sclérose en plaques, « ce qui induira à terme plusieurs centaines de décès par an (environ 500) » ; les champs magnétiques et électriques – plusieurs arrêts de justice ont ordonné le démantèlement d’antennes relais de téléphonie mobile, alors que, pour Maurice Tubiana, « il apparaît que les troubles invoqués sont d’origine psychique et que c’est la peur des champs et non ceux-ci qui entraînent des troubles », selon un pur effet nocebo.
En conclusion vient le testament, militant et fervent, adressé aux arrière-petits enfants et à leur génération : « lutter contre la fausse science et les charlatans et remettre la science à sa place au cœur du débat sociétal et des projets pour l’avenir ».
* Éditions Odile Jacob, 320 p., 23,90 euros.
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