La victoire écrasante de Poutine

Tyran bien-aimé

Publié le 07/03/2012
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Crédit photo : AFP

À LA FIN de l’année dernière, les élections législatives et leur résultat, extrêmement favorable au parti de M. Poutine, Russie unie, avaient donné lieu, dans les grandes villes, à d’imposantes manifestations. Le Premier ministre avait paru ébranlé par le mécontentement qu’exprimaient ses concitoyens, notamment au sujet des trucages électoraux. Pourtant, à l’occasion de l’élection présidentielle, il n’a pas jugé utile de faire campagne ou de donner aux Russes quelques gages de changement. Si quelque chose ne va pas, ce n’est pas sa faute ; si on bourre les urnes, ce n’est pas lui qui l’a demandé ; si on tue les journalistes, il n’y est pour rien.

POUTINE NE PEUT PAS RÉFORMER UN SYSTÈME DONT IL EST LE BÉNÉFICIAIRE

Tout au plus a-t-il fait quelques promesses verbales qui ne coûtaient pas cher. Les faits ont prouvé que son cynisme est payant. Même si l’OSCE (l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), qui a observé les élections russes, a exprimé ses doutes quant à la régularité de la procédure électorale, Vladimir Poutine a été littéralement plébiscité, en obtenant près de deux tiers des voix au terme d’un scrutin où la participation a atteint 64 %. Il a une telle avance sur ses principaux concurrents (le deuxième, candidat communiste, remporte moins de 18 % des voix) que, bourrages et manipulations compris, sa légitimité semble indiscutable aux yeux des Russes, surtout ceux, et ils sont nombreux, qui ont réellement voté pour lui.

Czar pétrolier.

M. Poutine, qui aime bien donner de lui-même l’image d’un leader simple, courageux physiquement et moralement, n’en demeure pas moins responsable d’une corruption qui ruine la société russe ; il ne tire la permanence de son pouvoir que de la manne pétrolière ; il n’a pas commencé à traiter quelques problèmes d’une gravité insigne, comme la baisse alarmante de la démographie ou l’alcoolisme universel. Et s’il ne l’a pas fait depuis dix ans, il ne le fera sans doute pas à l’occasion de ce nouveau mandat prolongé. On a à peu près tout dit de l’âme russe, incompréhensible et millénairement mélancolique, et les analystes les plus subtils en reviennent tous à l’idée trop simple que le peuple russe a besoin d’un czar, qu’il soit impérial ou communiste. Poutine, dans ce cas, est un czar pétrolier et son pouvoir n’est pas menacé. On répondra par la phrase de Lincoln : on peut tromper une partie du peuple tout le temps ou tout le peuple une partie du temps. On ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. Or Poutine n’a jamais montré sa force que pour étouffer la voix de la presse et de l’opposition ou pour asservir une justice chargée de protéger les intérêts de la clique au pouvoir. Il a certes créé une classe moyenne agréablement étonnée des avantages sociaux qu’il a pu lui offrir et, s’il est de nouveau menacé, il saura encore lâcher du lest, sous la forme de prébendes. Mais il n’a jamais été capable de réformer le système ; et pour cause : il en est le principal bénéficiaire.

Il a fallu 70 ans pour que s’écroule le bloc soviétique. La période post-révolutionnaire n’est pas terminée. Boris Eltsine et Vladimir Poutine n’auront été que les ajustements précaires d’une société en plein bouillonnement qui a besoin de reprendre son souffle de temps en temps et qui, par ailleurs, a tant souffert par le passé qu’un peu de stabilité, fût-elle celle de l’ordre poutinien, est accueilli avec soulagement. Mais le fait même que M. Poutine soit incapable de procéder aux réformes dont le pays a si grand besoin fait peser un danger sur son avenir politique. Le président, à la fois ancien et nouveau, tient la Russie depuis 12 ans et veut rempiler pour 12 ans encore. Croit-il que, indifférents aux mouvements du monde, les sujets du czar vont accepter indéfiniment qu’il n’y ait ni justice économique, ni justice sociale, ni justice tout court en Russie ? Croit-il qu’il restera au Kremlin en muselant la presse comme dans une république bananière ? Croit-il qu’il survivrait à une baisse du prix du pétrole alors qu’il n’a rien fait pour que naisse une grande industrie russe ? Oui, Poutine a fait jusqu’à présent ce qu’il a voulu. C’est maintenant que, pour lui, les ennuis commencent.

RICHARD LISCIA

Source : Le Quotidien du Médecin: 9094