Sévère affrontement sur les retraites

Quotidien du Médecin-8831

Publié le 07/10/2010
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SOUS LE STO??CISME apparent de l’Élysée et de Matignon perce une vive inquiétude : en dépit des concessions qu’ils sont prêts à consentir dans le cadre du débat de 80 heures qui se déroule en ce moment même au Sénat, ils n’ont pas réussi à amadouer les syndicats, forts de la mobilisation populaire et de sondages qui indiquent une majorité de 70 % d’opinions contre la réforme. Les Français souhaitent que le gouvernement renonce à fixer à 62 ans l’âge du départ à la retraite. L’opposition fait valoir qu’il suffit de jouer sur la durée des cotisations : une personne qui commence à travailler à 23 ans et qui doit donc cotiser pendant 40 ans ne partira pas à la retraite avant 63 ans de toute façon. Sauf que, pour tendre à l’équilibre des régimes, il est indispensable de jouer sur l’âge. Encore une fois, la crise des retraites est de nature démographique, même si elle a été aggravée par la crise économique. Il nous faut plus d’actifs et moins de retraités.

C’est le réformateur qu’ils n’aiment pas.

Chef des élus UMP à l’Assemblée nationale, Jean-François Copé a vivement dénoncé le principe d’une grève illimitée qui atteindrait de plein fouet la faible croissance que nous avons cette année. C’est le problème posé par toute réforme. Son seul énoncé suffit en France à déclencher un conflit social qui annule pendant des mois ou même des années les gains attendus de la réforme. Les syndicats affirment qu’il n’y a pas eu de négociation. Ce n’est pas vrai dans la mesure où ils ont discuté avec le pouvoir de ses grandes lignes depuis plusieurs mois. C’est vrai dans la mesure où le gouvernement a refusé de céder sur un seul point, mais un point cardinal : le report de deux ans de l’âge de la retraite. La réforme, qui a sa logique et a pour objectif sincère de sauvegarder le régime par répartition, souffre de ce qu’elle soit engagée par le président de la République, voué aux gémonies par l’opposition, contesté avec une telle virulence, désigné si souvent à la vindicte publique que les syndicats, leurs adhérents et une forte majorité de la population lui refusent le droit de légiférer sur un sujet qui concerne la totalité des 63 millions de Français.

POUR LES PESSIMISTES, IL EST IMPOSSIBLE DE RÉFORMER LA FRANCE

La crise est aussi politique, la population soupçonnant le président d’avoir avec les puissances d’argent une telle complicité qu’il les épargnerait systématiquement et fait payer aux travailleurs les conséquences de l’appauvrissement du pays. Du coup, l’idée que les riches peuvent et doivent financer les régimes de retraite s’est fait jour. On s’accroche à l’hypothèse néfaste d’une énorme ponction sur les fortunes qui ne ferait qu’aggraver le mal dont nous souffrons et nous a conduits à la crise où nous nous débattons : augmenter les budgets sociaux, c’est tuer l’investissement, c’est augmenter le chômage.

L’autre aspect politique de l’affaire repose sur l’engagement personnel de Nicolas Sarkozy qui, avec sa témérité habituelle, a jeté son va-tout dans la réforme des retraites. Il sait pertinemment, quoi qu’il en dise, qu’il est menacé, que sa réélection est loin d’être assurée, que sa chute est possible, et même vraisemblable. Pour lui, la réforme n’est pas qu’un début d’assainissement de nos finances, c’est le « ça passe ou ça casse » de sa stratégie électorale. Il cède sur la réforme et il perd ce qui lui reste de force et de dynamisme. Il arriverait alors dans une position extrêmement faible aux échéances de 2012. La réforme passe et il pourra se targuer de l’avoir réalisée à ses conditions, d’avoir puissamment contribué au redressement du pays et d’avoir amélioré le crédit de la France, dans les sens moral et financier du terme.

Questions.

Des questions se posent. La plus commune est « peut-on réformer la France ? ». La réponse des pessimistes est non. Celle des optimistes : oui, mais en payant un prix absurde. La plus fréquente est prononcée par l’opposition : « Fallait-il prendre le risque d’une crise profonde pour que M. Sarkozy améliorât sa position personnelle ? ». La réponse est non, mais le président ne s’est pas lancé dans l’aventure pour cette seule raison égoïste. Nous avons besoin d’une vraie réforme des retraites. Nous devons réduire nos déficits. Nous devons tous nous serrer la ceinture. La France a été confrontée à des crises et à des guerres infiniment plus douloureuses que cette bataille d’apothicaires. Face à un danger plus sérieux, elle a montré plus de courage.

RICHARD LISCIA

Source : Le Quotidien du Médecin: 8831