Les secrets et coulisses d’HPST racontés par son auteur

Quand Bachelot défend sa « puissante » loi devant les étudiants

Publié le 08/04/2013
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Crédit photo : S TOUBON

SOURIRE décontracté, debout face à la salle, micro en main et quelques fiches bristol au cas où. Roselyne Bachelot replonge dans ses années passées avenue de Ségur face à des étudiants captivés, rêvant peut-être d’un destin ministériel.

La CNAM, État dans l’État.

À peine prend-elle ses fonctions en mai 2007 que le comité d’alerte sur les dépenses maladie la contacte. L’ONDAM est dépassé, il faut agir, vite. Un appel au directeur de la CNAM confirme l’état d’urgence. « On était dans un corner », résume Roselyne Bachelot. Avec des hôpitaux en déficit, des urgences engorgées, des déserts médicaux surgissant ici ou là, des inégalités de santé persistantes et une permanence des soins lacunaire... Et avec l’obligation de composer avec l’assurance-maladie, véritable « État dans l’État ».

La loi hospitalière que commande Nicolas Sarkozy sera promulguée en juillet 2009. Entre-temps se seront écoulées deux années de concertation et de débat parlementaire animé, émaillé de pas en avant - ou de bonds en arrière selon le point de vue. L’opinion a retenu la CGT défilant bras dessus bras dessous avec les grands mandarins. « Un grand moment d’étonnement », raille l’ancienne ministre, qui réfute en bloc les attaques portant sur « l’hôpital-entreprise ».

Discussions viriles.

Dans la coulisse, Roselyne Bachelot a bataillé ferme contre l’assurance-maladie « qui ne voulait absolument pas que la loi existe ». Contre le secteur médicosocial, qui ne voyait pas d’un bon œil le fait que le gouvernement veuille y mettre un peu d’ordre, en lien avec le sanitaire. Contre les préfets aussi, qui ne voulaient pas des ARS et tenaient à garder la main sur la veille sanitaire. Les ARS auraient pourtant été utiles pour gérer l’épidémie grippale de 2009, dit aujourd’hui l’ancienne ministre.

Roselyne Bachelot se souvient de « discussions viriles », remercie au passage la secrétaire générale du ministère de l’Intérieur, qui fut « une alliée puissante ». « Là encore, j’ai gagné », résume la pharmacienne. Qui n’hésite pas à verser dans l’autosatisfecit : « J’ai pu supprimer des administrations qui existaient depuis le 19e siècle sans un jour de grève ».

« Éclopés ».

Pour que réussissent les Agences régionales de santé, « cœur nucléaire de la loi », il fallait des directeurs généraux de première division. Le casting aurait pu mal tourner. « On a essayé de me refourguer tous les éclopés de l’administration », glisse Roselyne Bachelot. Elle recevra en personne les candidats de la « short list », fera le tri et ira trouver Sarkozy avec une liste de 26 noms. « Je lui ai dit : ce sont les meilleurs, tu n’y touches pas! ». L’ancienne pharmacienne est connue pour ne pas mâcher ses mots : c’est affligée qu’elle assiste depuis quelques mois au retour de « gars usés comme les vieux tapis » à la tête des ARS.

Le nouvel exécutif n’est pas seul à en prendre pour son grade. Xavier Bertrand n’est pas épargné, pour avoir « liquidé » le contrat santé solidarité (trop contraignant pour les médecins) et la déclaration obligatoire d’absence (dans le cadre de la PDS en ville). « Mon successeur n’a pas eu envie de faire vivre la loi Bachelot. Il avait plutôt envie de la casser », fustige Bachelot. Et de déplorer au passage la « désastreuse habitude » du remaniement.

Luttes d’influence entre MG France et la CSMF.

De ses rapports conflictuels avec les médecins libéraux, Roselyne Bachelot ne dira pas grand-chose. Tout juste évoque-t-elle les « luttes d’influence atroces entre MG-France et la CSMF ». La mission de conciliation confiée à Élisabeth Hubert ? Aucunement une défiance à son égard, assure-t-elle, tenant à rappeler le contexte : « Il y avait des élections professionnelles juste après ». En 2009, les esprits n’étaient pas mûrs pour les ORDAM (objectifs régionaux de dépenses maladie) mais il faudra y venir, déclare aujourd’hui Bachelot. Pourquoi n’avoir pas encadré la liberté d’installation ? L’ancienne ministre botte en touche et souligne que Marisol Touraine n’a pas davantage opté pour la coercition depuis son entrée au gouvernement.

Un seul patron à l’hôpital, slogan blessant.

À l’hôpital, Roselyne Bachelot regrette de n’être pas allée jusqu’à interdire au maire de présider le conseil de surveillance. « Il y a un conflit d’intérêt manifeste », admet-elle pourtant. Et d’évoquer les « embauches inconsidérées » imposées par certains élus locaux, tel ce maire UMP qui avait recruté 36 CDI dans un hôpital avant de réclamer, tel un dû, une rallonge budgétaire.

Elle assume en revanche d’avoir taillé dans le pouvoir des grands patrons médicaux. Pour que cessent les « investissements grotesques réalisés dans certains services aux trois quarts vides, mais au chef influent ». Le président de la République n’a guère aidé, avec son slogan sur « l’unique patron » à l’hôpital. « Il a utilisé des mots contre productifs qui ont inutilement blessé le monde hospitalier », déplore Bachelot, à présent - c’est plus commode - qu’elle a quitté les affaires.

L’ancienne ministre n’aura guère reçu de félicitations pour cette bataille, trois années et demie durant. Nicolas Sarkozy n’a pas fait campagne en 2012 sur HPST. Et rares sont les Français à connaître le sens de l’acronyme. On n’est jamais mieux servi que par soi-même : Bachelot qualifie sa loi de puissante et volontariste. Étatique, aussi. Si l’ancien président l’a si peu mise en tête de son tableau de chasse, si le service après vente a fait défaut... « C’est peut-être que j’ai trop marqué la loi HPST », analyse a posteriori Roselyne Bachelot.

DELPHINE CHARDON

Source : Le Quotidien du Médecin: 9232