Alors que la crise sanitaire liée au Covid a mis en lumière le mal-être des adolescents et des étudiants, une équipe de chercheurs de l'Inserm et de l'Université de Bordeaux, en lien avec les universités de Montréal et McGill au Québec, a identifié grâce à l'intelligence artificielle (IA) un ensemble restreint d'indicateurs de santé mentale prédictifs des comportements suicidaires chez les étudiants.
Parmi 70 facteurs potentiels, quatre sont ressortis comme particulièrement pertinents : l'existence de pensées suicidaires, l'anxiété, des symptômes de dépression mais aussi des troubles de l'estime de soi. Les résultats sont publiés ce 15 juin dans la revue « Scientific Reports ».
Les données de 5 000 étudiants, sous l'œil de l'IA
L'équipe de Christophe Tzourio, professeur d’épidémiologie à l’université de Bordeaux et directeur du centre de recherche Bordeaux Population Health, a eu recours à l'IA pour développer cet algorithme prédictif. Pour ce faire, les chercheurs se sont appuyés sur les données de la cohorte I-Share, soit une cohorte de 5 066 étudiants (dont 80 % de filles), suivis pendant au moins un an, entre 2013 et 2019.
Les participants, inscrits dans une université, ont rempli deux questionnaires en ligne détaillés, portant sur leur santé, leurs consommations de toxiques, leurs antécédents médicaux et psychiatriques et leur état psychique, l'un au moment de leur inscription, l’autre un an plus tard.
L'âge moyen des étudiants était de 20,7 ans, plus d'un tiers était en première année d'études à l'université, la majorité d'entre eux vivait soit chez leurs parents, soit seul en appartement.
17 % d'étudiants avec des pensées suicidaires
Parmi ces plus de 5 000 étudiants, 17,3 % disent avoir eu des pensées ou comportements suicidaires pendant l'année (sans différence de sexe), dont 0,7 % sont allés jusqu'à la tentative de suicide.
Les chercheurs ont d'abord identifié 70 facteurs prédictifs potentiels mis en évidence par la littérature scientifique, qu'ils ont soumis aux étudiants dans le questionnaire (données sociodémographiques, certains paramètres de santé physique et mentale, antécédents personnels et familiaux de comportements suicidaires, habitudes de vie, consommation de substances et traumatismes liés à l’enfance). Puis le travail de modélisation, en s'appuyant sur l'IA, a permis de dresser un classement de ces facteurs prédictifs.
L'estime de soi, un facteur en soi
Résultat : quatre d'entre eux permettent de détecter environ 80 % des comportements suicidaires. Il s’agit des pensées suicidaires (éprouvées à l'inclusion), de l'anxiété, des symptômes de dépression et de l'estime de soi.
Dans des analyses secondaires effectuées sur un sous-échantillon incluant uniquement les participants qui ne présentaient pas de comportements suicidaires à leur entrée dans la cohorte, soit 3 946 étudiants, l'analyse statistique a mis en avant, comme variable prédictive, les symptômes dépressifs, l'estime de soi et le stress académique chez les filles. Chez les garçons, c'est l'estime de soi qui arrive en premier, suivie par l'anxiété.
« Les spécialistes de santé mentale dans nos équipes ne s’attendaient pas à ce que l’estime de soi fasse partie des quatre facteurs prédictifs majeurs des comportements suicidaires », commente Mélissa Macalli, doctorante en épidémiologie et auteure de l’étude. « Ce résultat, qui n’aurait pas été obtenu sans l’utilisation de techniques d’intelligence artificielle, qui ont permis de croiser un grand nombre de données de façon simultanée, ouvre des nouvelles perspectives aussi bien de recherche que de prévention », dit-elle.
Autre enseignement : les difficultés connues dans l'enfance ne semblent pas être des facteurs très prédictifs des pensées et comportements suicidaires, pas plus que le sentiment d'être soutenu par les parents (à l'inverse de ce qu'on observe chez les jeunes adultes). Cela pourrait s'expliquer par une plus forte influence des facteurs les plus rapprochés dans le temps, comme les symptômes dépressifs, avancent les auteurs.
Un outil de repérage
Selon les auteurs, ces résultats invitent à revisiter le repérage des conduites suicidaires. Ils notent d'abord que les échelles psychologiques validées et couramment utilisées comme l'échelle de Rosenberg qui mesure l'estime de soi, l'échelle STAI-YB de Spielberger pour l'anxiété et la PHQ-9 pour la dépression, seraient suffisantes pour repérer les étudiants à risque.
Pour toucher une population souvent distante des soins psychiatriques, ces travaux pourraient en outre servir de base à des questionnaires courts et simples par internet, ouvrant la voie à un dépistage à grande échelle, espère Christophe Tzourio, coordinateur de l’étude. Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans et les étudiants sont particulièrement exposés au risque de comportements suicidaires.
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