Marseille (13)
Dr Olivier Guilhot
Monsieur le Président de la République,
J’ai l’honneur de vous adresser cette « lettre ouverte aux signataires de la nouvelle convention médicale ».
Vous lirez que les signataires de mon département ne paraissent pas choqués quand l’un d’eux, à la tribune de la présentation officielle de cette convention, nous explique qu’il sera très facile aux médecins libéraux de prétendre avoir atteint les objectifs déclaratifs… En fraudant donc. Et de manière officielle.
Et pourtant, vous veniez de déclarer : « Voler la Sécurité sociale, c’est trahir la confiance de tous les Français. » « La fraude, c’est la plus terrible et la plus insidieuse des trahisons de l’esprit de 1945. C’est la fraude qui mine les fondements même de (la) République sociale » (voulue au sortir de la Résistance en 1945). « Frauder, que dis-je, voler, voler la Sécurité sociale, c’est trahir la confiance de tous les Français et c’est porter un coup terrible à la belle idée nécessaire de solidarité nationale. »
J’ai adressé cette lettre ouverte à la CPAM concernée. La voici :
Un grand hôpital du sud de la France, mercredi 16 novembre 2011, l’amphithéâtre choisi n’a pas fait recette : nous présenter la nouvelle convention, tel est l’objet de cette réunion, remise et déplacée par manque de participants déclarés…
À la tribune, les médecins responsables du Service Médical et la direction de la caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) mais aussi deux responsables des trois syndicats médicaux cosignataires de cette convention.
Une première interrogation : quelques dizaines de médecins libéraux seulement se sont déplacés… Pourquoi une telle désaffection ? À rapprocher du très faible taux de syndicalisation des médecins
(25 %), en baisse constante (60 % dans les années 60).
Pour la première fois depuis sa création en 1945 par les membres issus du Conseil national de la Résistance (CNR), la Sécurité sociale met donc en place une rémunération complémentaire des médecins basée sur leurs résultats… Le fameux « P4P » : « pay for performance ».
I have a dream : devant tant de sièges vides, rentrent peu à peu s’asseoir de nobles vieillards qui n’avaient pas été invités, tous issus du CNR et/ou artisans des ordonnances du 4 octobre 1945 et du 22 mai 1946…
Regardez : voici Ambroise Croizat assis à côté de Pierre Laroque. Ce dernier avait lu le rapport Beveridge à Londres, ancêtre avec le système Bismarck de ce qui allait être adapté pour devenir la Sécurité sociale pour tous, voulue par le Général De Gaulle.
Il y aussi Georges Buisson, Henri Raynaud anciens secrétaires de la CGT… Maître Willard, le directeur de cabinet de Croizat, Francis Netter. D’autres encore, chevilles ouvrières anonymes de la création du plus beau système de protection sociale jamais inventé encore à ce jour…
Tous réunis, nous vous écoutons. Alors voici :
Pour obtenir la gratification la plus élevée (9 100 euros par an – 8,6 mois de SMIC net, à méditer…), il est simplement demandé aux médecins de bien faire leur travail, comme on le leur a appris (gratuitement ou presque en France) pendant les 10 ans de leurs études… « Gagner plus pour travailler normalement, c’est-à-dire bien ». Ce slogan pourrait, à mes yeux, résumer la nouvelle convention !
En effet, la plupart des objectifs ne prête pas à discussion : chaque médecin sérieux les applique déjà.
Mais certains objectifs sont contestables : pourquoi demander 4 dosages annuels d’hémoglobine glyquée à un diabétique déjà parfaitement équilibré – c’est pour le coup un surcoût illogique si l’on prend le soin d’examiner et d’interroger correctement son patient diabétique (poids, périmètre abdominal). Nous inciter à rester des cliniciens ne paraît pas être votre priorité…
Notre pratique se doit d’être économe mais pas au détriment du patient : ainsi, nous demander de prescrire plus d’Inhibiteurs de l’Enzyme de Conversion (IEC) et moins de Sartans (plus chers pour le même résultat) pour traiter l’hypertension est une excellente idée pour faire des économies. D’autant plus que les médecins du Service Médical mettent à notre disposition des études affirmant un pourcentage de toux sous IEC très faible (tous les prescripteurs cliniciens vous confirmeront qu’il est bien plus élevé…). Le choix du Sartan est uniquement dicté par une meilleure tolérance : imposez à ce produit un prix plus bas et n’en parlons plus.
Plus grave : choisir l’aspirine plus souvent que le Plavix quand un antiagrégant plaquettaire s’impose. Ce choix est certes économe, mais nous avons de nombreux patients susceptibles de saigner avec l’aspirine.
Respecter cet objectif peut s’avérer iatrogène : qui sera « responsable mais pas coupable », vous ou nous ?
Les vasodilatateurs apportent, nous le savons tous, un service médical rendu faible peut-être nul : abaisser leur prescription à 10 % de la classe d’âge concernée manque d’ambition et de courage. Il faut supprimer leur remboursement, une fois pour toutes.
Mais cette convention avance aussi dans la bonne direction : l’auditoire est heureux d’entendre le Directeur Général exposer que l’Objectif national de dépenses d’Assurance-maladie (le fameux ONDAM) continue à être positif : encore + 2,5 % pour 2012 (2,8 % étaient même acceptés avant le nouveau plan de rigueur).
Nous sommes également rassurés d’écouter l’intervention brillante de la Directrice adjointe : le tiers payant est enfin officiellement accepté quand le médecin le jugera utile (déjà en place dans les faits). Certains d’entre nous auraient sûrement préféré un tiers payant généralisé pour ne pas obliger les patients concernés à dire : « Docteur, attention, je suis pauvre donc merci de pratiquer le tiers payant. » Mais respecter la fierté des pauvres ne semble pas être dans le cahier des charges…
Nous sommes heureux de constater que la convention veut lutter contre la désertification médicale ; et convaincus de l’échec des mesures incitatives. Chacun sait qu’il faudra un jour augmenter le numerus clausus en l’assortissant de mesures courageuses et impopulaires pour favoriser l’installation en zones sous-dotées. Mesure dangereuse en période préélectorale, bien sûr.
Au chapitre des génériques, une partie de l’auditoire et les fondateurs de la Sécurité sociale (qui vous écoutent avec attention) commencent à se mettre en colère. Croizat, Laroque, tous sont consternés. Comment ? L’État n’est plus capable de fixer le juste prix des médicaments ? Toute cette énergie gaspillée autour des génériques… Leur génération a mis fin à l’horreur des nazis, reconstruit la France et nous sommes, 66 ans plus tard, incapables de décider une mesure simple : cette molécule est bonne pour la santé, elle a un seul nom pour tous et un seul prix. Du courage, que diable…
En réponse au courroux que nous sommes quelques-uns à exprimer, le Directeur général évoque des expériences analogues de P4P à l’étranger : le modèle anglais vous a fortement guidé, chacun le sait. L’expérimentation du CAPI s’en inspirait déjà. Le P4P montre déjà ses limites en Grande Bretagne…
Une revue de la littérature est disponible sur le blog du Dr P. Ha Vinh et confirme nos doutes (1). Le BMJ étudie la pertinence et la limite des indicateurs choisis par les systèmes de P4P (2). Le groupe PROSPERE partenaire de l’IRDES critique le CAPI (3). Il est également démontré que les objectifs à indicateurs déclaratifs sont biaisés (4) – rapporté également par le Dr Ha Vinh.
Mais le pire est à venir : l’un des médecins libéraux signataires est au micro, à la tribune… Sur un ton badin, il nous explique que pour ces 5 objectifs à indicateurs déclaratifs, tous nous étaient acquis puisqu’il suffisait de déclarer que nous les avions atteints… Il ne s’agit plus d’un simple biais… Personne ne lui répond, ni à l’état-major de la CPAM, ni à celui du Service Médical. « Fraudez, vous serez payés », tel sera le mot de la fin.
C’en est trop. Ambroise Croizat et ses collègues se lèvent et quittent la réunion qui ressemble à un enterrement, celui de leur Sécurité sociale.
Le déficit n’est pas uniquement financier, c’est d’une dette morale qu’il s’agit.
(1) http://philippehavinh.wordpress.com/2011/07/26/p4p-for-french-primary-c…
e-physicians-for-the-first-time-of-their-history/
(2) BMJ 2010; 340 doi : 10.1136/bmj.c1717 (Published 6 April 2010)
(3) http://www.equip.ch/files/55/37._olivier_saint_lary_introduction_of_p4p…
n_france_the_capi_programme.pdf
(4) http://m.intqhc.oxfordjournals.org/content/11/3/187.full.pdf
Tarifs : d’autres donnent l’exemple
Paris (75)
Gérard Noët (biologiste)
Cette facture doit faire réfléchir nos confrères médecins pour la valorisation de leurs actes !
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