L’INFRACTION la plus grave (et cependant la plus courante) est la violation permanente du secret de l’instruction. Tout est révélé mais, en réalité, le public, ne sait rien et n’y comprend rien. Claire Thibout, celle par qui le scandale est arrivé, est-elle seulement crédible quand elle excipe de ce que l’avocat de Liliane Bettancourt, Georges Kiejman, appelle des « carnets de cuisine », ces fiches brouillonnes où elle consignait, dit-elle, les retraits d’argent liquide auxquels elle procédait et nommait, sans en être sûre, les bénéficiaires ? Comment est-il possible que les enregistrements frauduleux réalisés par le maître d’hôtel de Mme Bettencourt soient arrivés si vite dans les rédactions ? Pourquoi des journalistes renommés n’ont-ils pas hésité à les publier ? Comment se fait-il que l’Élysée soit informé minute après minute des progrès de l’enquête, des déclarations de Mme Thibout, d’abord de ses allégations puis de ses dénégations ? Pourquoi personne ne dénonce le délit originel, la fuite ? ‘
Une caricature.
Le comportement des politiques est caricatural. La gauche ne voit dans les documents produits, nombreux et contradictoires, que ce qui sert son camp. La droite se contente d’une rétractation de Mme Thibout pour annoncer que M. Sarkozy est blanchi, que l’affaire est terminée, que tout rentre dans l’ordre, oubliant du même coup les accusations maintenues contre Éric Wœrth, mais aussi bien, son accusatrice, qui n’a rien vu, mais suppose, doit-elle être crue sur parole ? Quelle est sa motivation ? Pourquoi a-t-elle trahi si aisément le secret professionnel après avoir été licenciée en touchant une somme rondelette (500 000 euros, si l’on en croit « Le Monde ») ? A-t-elle des convictions politiques et a-t-elle souhaité jouer un rôle de premier plan dans cette affaire, pour se désoler ensuite de ce qui lui arrive ? Quand dit-elle la vérité ? Quand elle accuse ou quand elle se récuse ? Comment se fait-il que le technicien qui a transcrit les enregistrements du maître d’hôtel sur un CD et ne pouvait ignorer d’où ils venaient, soit le mari de Mme Thibout (toujours selon « Le Monde ») ? Y-a-t-il eu conspiration entre ces trois personnages, la femme, le mari et le maître d’hôtel ? Mais surtout, comment, dans la panique, la majorité a-t-elle osé accuser de « fascisme » le site Mediapart et bafouer de la sorte un principe fondamental de toute démocratie, la liberté d’expression ?
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La conduite des journalistes ne mérite pas pour autant l’indulgence. Certes, la presse est libre de dire ce qu’elle veut, mais elle a des règles déontologiques à respecter. Certes, elle est la bénéficiaire, pas la source de la violation du secret judiciaire. Mais loin de prendre des précautions, elle amplifie à l’infini la gravité d’accusations dont elle n’a pas la preuve et, si elle penche à droite, elle se livre à de ridicules exercices de blanchiment du pouvoir, ce qui ne devrait être son rôle en aucun cas. Sur les plateaux de télévision ou dans les studios de radio, les journalistes se jettent dans la mêlée comme si, quelles que fussent les convictions de chacun, il ne s’agissait que de protéger ou d’abattre le chef de l’État.
Et la police ? Elle contraint Mme Thibout à témoigner à plusieurs reprises, dans des conditions dont on n’a pas de peine à croire qu’elles sont accablantes, mais comme elle n’a pas le statut de témoin assisté, elle n’a pas d’avocat. De cette manière, on lui fera dire bientôt ce que l’on veut entendre. Et la justice ? Un conflit oppose le procureur de Nanterre à une juge, le premier étant, dit-on, proche, du pouvoir, la seconde décrite comme la rigueur incarnée, ce qui veut dire qu’elle ne lâchera pas l’Élysée, l’UMP et le gouvernement. On admettra que la demande, par le PS, de dépaysement de l’enquête et du procès qui aura lieu forcément est légitime.
Encore un effort.
On ne trouvera pas plus de réconfort en apprenant que M. Bettencourt, de son vivant, se faisant porter de grosses sommes d’argent qu’il distribuait à son aise ; que parmi les gens censés servir son épouse en échange de rétributions élevées, aucun n’a fait preuve de loyauté ; que cette richesse de Crésus, incalculable, énorme, et finalement absurde, a empoisonné toutes les âmes venues brûler leurs ailes en allant voler trop près du soleil de l’argent. Un argent qui les a rendus fous, les a corrompus par sa seule présence, parce qu’ils se disaient peut-être qu’une partie finirait par tomber dans leurs poches. On n’inclura pas Mme Thibout dans cette liste : elle semble bien s’être opposée, pour commencer, aux largesses incommensurables dont a bénéficié François-Marie Banier, l’homme le moins respectable de France, mais l’homme qui, sans le vouloir, a, par son invraisemblable cupidité, allumé la mèche. Comme nous sommes Français, nous sommes des donneurs de leçons. Au plus fort de la crise, nous prétendons encore mieux nous défendre que d’autres contres ses ravages. Aux États-Unis, les gens immensément riches, les Warren Buffett et les Bill Gates, lèguent leur fortune à des fondations humanitaires. Allez, Liliane, encore un effort.
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