Un plan gigantesque de 750 milliards

L’Europe se rachète

Publié le 11/05/2010
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Crédit photo : AFP

IL ÉTAIT TEMPS ! Les tergiversations européennes ont coûté cher à l’Union. Angela Merkel, heureusement, s’est finalement ralliée à une décision qui n’aurait pas été efficace si elle n’avait frappé les esprits et découragé la spéculation. Elle n’en pas moins perdu les élections de Rhénanie du Nord-Westphalie, un scrutin qui la prive de la majorité au Bundesrat (chambre haute fédérale) mais qui a fait perdre trois semaines précieuses à l’Europe. On est tenté de dire que, si la CDU devait être battue de toute façon, les ratiocinations de la chancelière étaient doublement coupables.

Le retour de la confiance.

Mais qu’importe aujourd’hui. L’essentiel est que les membres de la zone euro aient regagné la confiance des marchés, lesquels sont avertis que, s’ils tentaient de nouveau de s’attaquer à un pays comme ils l’ont fait avec la Grèce, ils trouveraient une Union décidée à se battre avec de fortes réserves de munitions. Il n’est pas dit d’ailleurs que l’énorme somme réunie sera jamais dépensée. Elle sert de garantie aux emprunts nationaux, de manière qu’ils bénéficient des taux les plus bas. Pour le moment, elle est virtuelle.

Il faut souligner deux points très importants dans le « package » mis au point par les Européens : le premier est que, contrairement aux vœux de Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne, le FMI intervient à raison d’un tiers dans le package, de même qu’il est intervenu à raison de 30 milliards dans l’aide à la Grèce. Encore un tabou qui saute, à la faveur de la crise : M. Trichet estimait que l’UE avait suffisamment de ressources pour tenir bon face aux attaques contre les États, mais les chefs de gouvernement ont voulu donner le coup le plus violent, celui de la dissuasion. Il s’agissait non seulement de mettre en garde la spéculation contre toute manœuvre destinée à déstabiliser l’Espagne ou le Portugal, mais de prévoir le coup d’après, celui qui aurait été porté contre l’Irlande ou l’Italie, et encore le coup suivant. Ce multiple barrage montre que les Européens ont repris l’avantage et qu’il n’est plus possible de jouer à la baisse la situation financière des États.

L’ÉPOQUE Où NOUS VIVIONS AU-DESSUS DE NOS MOYENS EST RÉVOLUE

Le second est l’autorisation accordée à la Banque centrale européenne d’acheter des obligations nationales, ce qui confère à ces titres la protection de la zone euro dans son ensemble et réduit ainsi le taux d’intérêt que ces obligations doivent payer. On est là à mi-chemin de la fédéralisation de la zone euro, avec une montée en puissance de la BCE qui devient à peu près l’égale de la Banque fédérale des réserves des États-Unis (Fed). La voie est ouverte à la BCE pour que, à terme, elle puisse battre monnaie et sortir d’une crise par la la création monétaire. C’est ce que font les États-Unis et, s’ils se sont outrageusement endettés de cette manière, ils n’ont pas subi la crise très grave qui vient de mettre l’Europe à genoux.

Le message de la zone euro est donc plus large qu’une simple riposte à la spéculation. Il indique que les traitements de la crise par manipulation de la dette seront adoptées de ce côté-ci de l’Atlantique, dès lors qu’elles permettent d’accorder un répit aux économies et même si elles contribuent au surendettement. Comme nous l’expliquions la semaine dernière, il fallait faire pour la Grèce, mais aussi pour l’Europe, ce qui a été fait pour les banques. C’est le volet international d’un plan qui s’applique en même temps aux États-membres de la zone euro. Tous doivent maintenant limiter leurs dépenses. Le gouvernement français l’a fort bien compris qui, avant même que le message de l’Europe ne fût adressé à la spéculation mondiale, a envoyé un signal très fort la semaine dernière en gelant ses dépenses publiques pendant trois ans. En fait, elles n’augmenteront même pas du taux d’inflation, donc elles diminueront d’autant.

Pour un consensus national.

On n’a pas de mal à imaginer les conséquences sociales d’une décision aussi violente et on peut s’attendre, en pleine réflexion sur la réforme des retraites, à une bronca syndicale considérable. Le gouvernement de François Fillon doit donner raison aux syndicats sur un point : il faut impérativement, par souci de justice sociale, que les hauts revenus soient les plus touchés par la recherche de nouvelles recettes pour l’État français. Si ce gage (essentiel) leur est donné, les leaders syndicaux doivent comprendre que la longue époque pendant laquelle nous, Français, avons vécu au-dessus de nos moyens est bel et bien terminée. Bien qu’il s’agisse d’une discussion purement sémantique, le gouvernement a raison de dire qu’il n’envisage aucun plan de rigueur ou d’austérité, car il n’a pas l’intention d’augmenter les impôts et s’il supprime des niches fiscales, il n’attaque que les hauts revenus : ce n’est pas la moitié des ménages français qui ne paie pas l’impôt qui en souffrira.

On peut certes douter de la formation, en France, d’un consensus de salut public à deux ans des élections générales. Nous n’oserons qu’une comparaison : Mme Merkel a soumis sa politique européenne à des considérations électorales. Non seulement elle a perdu une élection et sa majorité au Bundesrat, mais elle a perdu son statut de grande dame de la politique. Il serait temps que l’opposition en France cesse de mettre le contingent avant l’essentiel.

RICHARD LISCIA

Source : Le Quotidien du Médecin: 8769