Invité dans le cadre des rencontres d’Hippocrate organisées par la faculté de médecine Paris-Descartes, le sociologue Alain Touraine, entouré de représentants des 4 cultes monothéistes principaux, a argumenté la fondamentale présence des religions à l’hôpital, lieu de soins, et surtout lieu de vie.
Médecins, assistants sociaux, administrateurs d’hôpital, sociologues, étudiants... L’amphithéâtre Richet de la faculté Paris-Descartes bourdonnait d’une sourde curiosité mardi dernier. Qu’a à dire sur la laïcité à l’hôpital l’illustre sociologue octogénaire, ancien membre de la commission Stasi, père d’un médecin et de l’actuelle ministre de la Santé ?
D’abord, qu’il est impossible de plaquer sur le sujet les réponses élaborées pour l’école. À l’origine de la commission Stasi, en 2003, Jacques Chirac demandait : « À quoi faut-il donner la priorité : à la diversité culturelle ou au principe d’unité ? », rappelle Alain Touraine. « La commission était arrivée à l’unanimité à un accord sur le fait qu’en France, étant donné l’Histoire marquée par la guerre entre l’État et l’Église pour savoir qui allait former les enfants, il était essentiel de choisir l’école de la République, des citoyens, de tous. ».
Choux-fleurs et des pommes de terre mal cuites.
La question des religions à l’hôpital est tout autre. L’institution médicale est aussi un lieu de vie que le malade habite avec sa maladie, certes, mais surtout sa personnalité, ses souvenirs, ses mondes affectifs, économiques et politiques, sa culture... De là découlent des questions pragmatiques, secondaires, estime M. Touraine, sur lesquelles il faut « faire preuve de bonne volonté mutuelle ». « Il est normal qu’un malade ne soit pas obligé de manger des choses interdites par ses convictions. Il faut se débarrasser de l’idée qu’il y a une supériorité du régime unique : il n’est pas nécessaire de manger partout des choux-fleurs et des pommes de terre mal cuites », balaye, rigolard, le sociologue.
L’essentiel est ailleurs. Pour Alain Touraine, les religions doivent « prendre plus de place à l’hôpital, comme tout ce qui peut aider les personnes affaiblies à être acteurs de leurs vies ». La religion ne doit pas tant être considérée dans son aspect traditionnel – avec son ensemble de rites – que dans sa dimension spirituelle. « Que ceux qui parlent au nom des différentes religions n’aient pas comme préoccupation principale la défense des communautés, traditions, catégories. Il faut les mettre au service des malades pour qu’ils mobilisent toutes leurs ressources pour vivre et quitter la vie », lance M. Touraine aux représentants des cultes qui l’entourent... comme un plaidoyer pour un retour du sacré.
L’être dans sa totalité
En écho à la parole d’Alain Touraine, les représentants des traditions catholique, protestante, musulmane et juive ont insisté sur leur rôle d’accompagnement. « Nous sommes un service, nous répondons aux besoins du patient qui peut déposer tout ce qu’il ressent », explique Doriane Villordin, aumônière catholique. « L’Institution est laïque. Mais le soin n’est pas l’interruption des croyances d’un individu », affirme de son côté Isabelle Meykuchel, pour le culte protestant. L’aumônière se félicite de l’ouverture de l’hôpital public à « toutes les dimensions de l’être », et concrètement, aux diverses confessions. « Les aumôneries sont la meilleure réponse au défi de la religion à l’hôpital ; les religieux doivent être formés à la culture hospitalière, aux règles d’hygiène, aux questions éthique », poursuit-elle. À l’hôpital d’Avicenne, les 5 aumôniers, rabbin, prêtre, diacre, pasteur, imam, travaillent main dans la main. « Nous montrons aux soignants que les religions peuvent s’entendre pour donner l’espérance au malade », assure Saïd Ali Koussay, de la tradition musulmane.
Conflits pratiques
Tout en acquiesçant, le rabbin Olivier Kaufmann avoue se sentir parfois impuissant dans son exercice. « Je suis à l’écoute du souffrant, mais je dois aussi expliquer les règles d’hygiène et de sécurité et rappeler qu’on ne peut allumer les bougies le vendredi soir. Certains patients ne se contentent pas d’un dialogue à deux, ils aspirent aussi aux rituels », explique-t-il, ramenant Alain Touraine au pragmatisme.
Depuis la salle, une assistance sociale exerçant en oncologie fait part de ses interrogations : « Comment informer les patients, qui ne lisent pas toujours le carnet d’admission de l’hôpital, sur la présence d’aumôniers sans qu’on m’accuse de prosélytisme ? » Réponse d’Alain Touraine : « Ceux qui vous accusent de cela sont des laïcards. »
Au final, l’auditoire est reparti convaincu de la nécessité de la présence des religions à l’hôpital, dans un enthousiasme collectif qui n’a pas, pour autant, gommé les conflits du quotidien.
Yannick Neuder lance un plan de lutte contre la désinformation en santé
Dès 60 ans, la perte de l’odorat est associée à une hausse de la mortalité
Troubles du neurodéveloppement : les outils diagnostiques à intégrer en pratique
Santé mentale des jeunes : du mieux pour le repérage mais de nouveaux facteurs de risque