« C’EST un amendement d’une extrême gravité qui risque de remettre en cause tout l’équilibre construit au cours de ces dernières années », souligne le Pr François Bourdillon, président de la Société française de Santé publique (SFSP). La raison de son inquiétude, l’article 17 ter du projet de loi « Immigration, Intégration, Nationalité », qui tente de restreindre l’accès aux soins des étrangers gravement malades, résidant habituellement en France. Après la réforme de l’AME rejetée par le Sénat mais adoptée en Commission mixte paritaire puis votée avec la loi de finances 2011 le 15 décembre 2010, les professionnels de santé craignent le démantèlement du dispositif d’accès aux soins des plus vulnérables. Ce dernier texte a été voté en dépit des contestations de nombreux professionnels de santé, dont le Conseil de l’Ordre et des conclusions défavorables d’un rapport de l’IGAS publiées le 31 décembre bien après que le texte a été entériné.
Traitements effectifs.
Cette fois, les associations et les professionnels de santé souhaitent que leur voix soit entendue. La conférence de presse organisée par la sénatrice d’Europe Écologie - les Verts, Alima Boumedienne Thierry, à la demande de l’ODSE (Observatoire du droit à la santé des étrangers) et de l’association AIDES, leur en a donné l’occasion avant l’examen au Sénat du texte sur l’accès aux soins des étrangers malades adopté par l’Assemblée le 12 octobre dernier. « Avec l’AME, c’est le dispositif de premier recours aux soins qui a été attaqué. Là, on risque de rompre la chaîne entre le premier recours et l’hospitalisation », dit le président de la Société française de santé publique. Lors des travaux préparatoires, l’article 17 ter a d’ailleurs été abrogé. « Nous voyons déjà revenir des amendements de réinstallation », assure Richard Yung, sénateur PS membre de la Commission. Ainsi, un amendement déposé par le sénateur UMP, Louis Nègre vise à rétablir le texte voté par l’Assemblée nationale et qui reprenait l’amendement Mariani proposant de substituer aux mots « qu’il ne puisse effectivement bénéficier » des traitements celui d’« indisponibilité ».
Selon les médecins, cette notion d’indisponibilité, « trop floue » et « ambiguë », laisse la place à toutes les interprétations. Les traitements devront-ils être disponibles pour les personnes ou simplement dans les pays ? La disponibilité des traitements dans un pays ne garantit en rien que les personnes y accèdent effectivement, expliquent toutes les sociétés savantes. La SFSP, mais aussi la Fédération française d’infectiologie, la Société de pathologies infectieuses de langue française (SPILF), la Fédération française de pneumologie et la Société de pneumologie de langue française (SPLF).
De plus, les arguments avancés pour restreindre l’accès aux soins ne résistent « ni à la réalité des chiffres ni à celle des faits », relève le Pr Willy Rozenbaum. « Le nombre d’étrangers malades qui ont bénéficié d’un premier titre de séjour pour soins est en diminution. En médecine, nous appelons cela l’incidence. Mais il est vrai que la prévalence augmente parce que les malades s’accumulent », ajoute-t-il.
De même, l’immigration thérapeutique reste un mythe : l’existence d’un droit au séjour ne suscite une immigration massive. « C’est mal connaître la migration. Quand on est malade et fatigué, on ne migre pas », renchérit le Pr Bourdillon. De fait, les études en Europe montrent que seulement 6 % des migrants citent la migration parmi les raisons qui les poussent à partir. En 2009, le COMEDE, qui assure la prise en charge médico-psycho-sociale de près de 5 000 patients par an, estimait qu’entre 6 et 9 % des patients séropositifs au VIH ou aux hépatites B et C en consultation avaient été dépistés dans leur pays d’origine.
Question de coût.
Le Pr Rozenbaum, au nom Conseil national du sida, a insisté les conséquences délétères pour la santé publique, surtout dans le domaine des maladies infectieuses comme le VIH/sida, où le dépistage et le traitement précoces sont indispensables au contrôle de l’épidémie, comme le reconnaît le nouveau plan contre le VIH/sida et les IST. « Intégrer les patients dans le système de soins constitue un bénéfice collectif », insiste-t-il. D’abord en termes de coût, car, en cas de restriction, les patients consultent tardivement alors que les pathologies – diabète, cancer ou toute autre pathologie grave – se sont aggravées. Les restrictions au droit au séjour pour soins risquent de provoquer un transfert de coût vers l’AME et surtout de peser sur les budgets des hôpitaux : « Les médecins ne sont pas prêts à laisser mourir les malades à la porte des hôpitaux ». Un argument que reprend en écho le Dr Nathalie de Castro, infectiologue à l’hôpital Saint-Louis : « Nous ne laisserons pas mourir nos patients ». Avec 3 autres praticiens, elle est à l’origine d’une pétition qui a déjà recueilli plus de 1 000 signatures de praticiens, infectiologues, médecins de santé publique, psychiatres ou médecins généralistes (accessibilité.effective@gmail.com).
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