Roselyne Bachelot fait le bilan de la présidence française

Les médecins ne doivent pas craindre l’Europe de la santé

Publié le 14/12/2008
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LE QUOTIDIEN - Dès le lancement de votre présidence en matière de santé, vous avez mis l’accent sur l’urgence de la veille sanitaire européenne. Direz-vous qu’elle a progressé ?

ROSELYNE BACHELOT - J’ai surtout souhaité sensibiliser mes homologues aux insuffisances en termes de préparation et d’harmonisation des réponses à une menace sanitaire de grande ampleur. Or, s'il y a bien un sujet sur lequel les citoyens européens, mêmes les plus sceptiques, peuvent comprendre la plus-value européenne dans le secteur sanitaire, c'est celui-là ! Les virus ne connaissent pas de frontières et, même bien préparé à une menace, un État vertueux serait directement menacé par les failles d'un voisin plus fragile. L'Union européenne peut et doit donc aider les États à mieux se coordonner pour assurer la sécurité de tous. Nous adopterons le 16 décembre des conclusions du Conseil des ministres de la Santé sur ce sujet, reprenant l'ensemble des travaux conduit pendant ces six mois de présidence, et tout particulièrement à Angers lors de la réunion informelle des ministres. Je crois que nous avons collectivement progressé grâce à la prise de conscience, à Angers, que nous n'étions pas totalement prêts à affronter de manière coordonnée une telle crise sanitaire. Les deux exercices de simulation de crise que j'ai proposés à mes collègues ce jour-là ont fait apparaître trop de réponses divergentes et de stratégies contradictoires. Ce fut un réel choc pour les 27 États membres et la Commission européenne, mais un choc salutaire et depuis une dynamique positive s'est enclenchée. Je crois aussi que la Commission européenne pourra s'appuyer sur cette dynamique pour faire des propositions en 2009 et que les présidences tchèque et suédoise qui conserveront ces priorités pourront faire œuvre utile. Dans ce domaine comme dans d'autres, l'Europe se construit « pas à pas », comme le disait Robert Schumann, et nous ne partons pas de rien. En effet, il existe déjà un système d'alerte précoce qui relie électroniquement les États membres et la Commission, et surtout le Centre européen de contrôle des maladies (ECDC) qui évalue et signale les menaces existantes et émergentes. C’est sur la nécessité de renforcer la coordination actuelle en matière de gestion des risques sanitaires que la présidence française a souhaité mettre l'accent, les outils de la détection étant désormais opérationnels.

Comment comptez-vous réduire les écarts stratégiques révélés à Angers ?

Il ne s’agit pas de réduire les écarts dans une optique d’harmonisation. Il s’agit d’envoyer des messages cohérents et de mettre en œuvre des mesures compatibles pour éviter qu'elles ne se contredisent ou ne se fragilisent. Comme vous le savez, les organisations administratives, notamment dans le secteur sanitaire, sont très hétérogènes, ne serait-ce qu'en raison du niveau très variable de la décentralisation de la décision de santé publique. Nous ne cherchons donc pas à uniformiser ou intégrer au niveau communautaire ces aspects.

Les travaux menés à Angers ont permis de prendre conscience de façon plus précise que l’organisation actuelle est d’évidence insuffisante sur un certain nombre de points : la concertation entre États membres en termes de préparation et de communication, ainsi que la réactivité et l’interopérabilité des réponses des pays ; la dimension intersectorielle, et en particulier la coopération entre le secteur sanitaire et le secteur vétérinaire, la continuité des services essentiels, des transports et de l’activité économique ; la capacité globale à faire face aux attentes liées au règlement sanitaire international, et d’un point de vue plus général la coopération internationale.

Angers a permis d’ancrer dans les travaux UE à venir la nécessité de continuer à travailler ensemble sur ces différents thèmes, très nouveaux au plan européen. Avant la menace du sras et l’annonce des risques de pandémie grippale, il n’y avait jamais eu de réflexion commune au plus haut niveau sur ces questions.

Concrètement, l’UE pourrait-elle assurer la gestion de stocks de médicaments comme les antiviraux, ou de produits comme les masques ?

La France le souhaiterait, de même que la Commission européenne. Mais le vote anonyme des ministres à Angers a laissé apparaître, à une très large majorité, que les États ne souhaitaient pas de stocks européens. Néanmoins, les travaux menés tout au long de ces six mois ont fait bouger les lignes sur ce sujet, même si cela est encore difficilement mesurable. J'ajoute que, certaines de ces questions doivent encore être approfondies, ne serait-ce que sur le financement et les circuits de distribution. Ces incertitudes expliquent certainement les réticences de certains États-membres à s'engager dans cette voie de stocks communs. Je salue d’ailleurs l’initiative de la Commission européenne qui a, dès février, consacré un atelier réunissant tous les spécialistes pour réfléchir à ces questions.

Les structures européennes de santé (Comité européen de sécurité sanitaire, ECDC, disposent-elles de moyens suffisants ?

L’ECDC, agence européenne jeune, est une structure formelle crée en 1999 par un règlement communautaire et qui fonctionne de façon tout à fait satisfaisante, sous la conduite de sa directrice actuelle, Zsuzsanna Jakab. Le comité de sécurité sanitaire, créé informellement en 2001 à la suite des alertes à l’anthrax, a surtout constitué un forum d’échanges d’informations. Depuis un an, la nouvelle gouvernance du comité de sécurité sanitaire a ouvert de nouvelles perspectives de coopérations, avec des missions plus régulières et permanentes. Concrètement, la Commission européenne est invitée à présenter une proposition législative dans ce sens, et nous devrions, avec mes collègues ministres de la Santé, entériner cette commande dans les conclusions du Conseil sur la sécurité sanitaire le 16 décembre.

Quelle contribution pouvez-vous attendre de la part des médecins dans l’édification de l’Europe de la santé ?

Ma première attente serait qu'ils se saisissent de ce sujet de l'Europe de la santé en investissant les différents organes consultatifs au niveau communautaire. Les Français sont clairement moins investis au niveau associatif ou syndical que d'autres nationalités, et cela se ressent sur notre influence à Bruxelles. Mon espoir serait qu'en faisant cela, ils puissent contribuer à diffuser la culture de la qualité et de la sécurité des soins de santé en Europe. Je suis convaincue que nous n'avons pas à craindre l'Europe de la santé. Notre pays peut s'appuyer sur des praticiens excellemment bien formés et à la compétence reconnue sur tout le continent, ainsi que sur des structures hospitalières réputées. D'une certaine façon, la mobilité des patients en Europe, bien qu'elle ait vocation à demeurer un phénomène limité et strictement encadré, peut être une chance pour la promotion de ce savoir-faire français.

Pour conclure, souhaitez-vous que les questions de santé continuent de relever de la souveraineté de chaque État membre, en application du principe de subsidiarité ?

C'est un débat infiniment complexe. La santé relève évidemment des États membres, ce qui se justifie doublement : à la fois en raison de la très grande variété des pratiques et traditions médicales des États, attachés à leurs spécificités, mais également en raison de la masse financière que représente la santé dans leurs budgets nationaux.

Néanmoins, les patients et les professionnels de santé circulent en Europe, les médicaments et autres produits de santé (les virus également !) aussi, et enfin des capitaux circulent et sont investis. Des coopérations en matière de santé mériteraient d'être développées au niveau communautaire puisque les grands enjeux de santé publique sont au cœur des 4 grandes libertés du marché intérieur avec la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux.

La situation actuelle permet, grâce à l'article 152, de mener des politiques européennes de coordination répondant ainsi à un besoin européen, sans aller au-delà de ce qui apparaît nécessaire et proportionné à la plupart d'entre nous, et surtout en respectant nos spécificités et modèles nationaux.

L’objectif est maintenant de mieux prendre en compte les enjeux liés à la qualité et à la sécurité pour les patients et les professionnels de santé en mobilité. C'est pour cela que j'ai placé ce thème de la qualité à l'ordre du jour de la stratégie européenne en santé que nous avons lancée avec mes collègues ministres et qui vise à définir dans la limite du Traité actuel, des enjeux et objectifs communs.

 PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN DELAHAYE DIFFUSER LA CULTURE DE LA QUALITÉ ET DE LA SÉCURITÉ DES SOINS DE SANTÉ EN EUROPE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8480