Des échauffourées secondaires

Les digressions de la campagne

Publié le 08/03/2012
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Crédit photo : AFP

L’HISTOIRE de la viande hallal serait drôle si elle n’avait ouvert la vanne à un torrent de passions sans rapport avec les enjeux économiques et sociaux de la campagne. Marine Le Pen nous annonce, dans un premier temps, que nous mangeons tous de la viande hallal parce que cela convient aux producteurs pour des raisons de prix de revient. Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, dément. Quelques jours plus tard, il établit un raccourci intellectuel qui sera un modèle pour les études de sciences politiques : si on accorde le droit de vote aux étrangers, ils nous feront manger de la viande hallal. Autrement dit, M. Guéant nous fait percevoir un danger dont il vient à peine de dire qu’il n’existait pas. Ou comment démentir Mme Le Pen tout en récupérant ses idées.

Aucun des 65 millions de Français n’avait prévu que la campagne porterait sur les rites d’abattage du bétail destiné à la consommation. Mais le Premier ministre, François Fillon, revient sur le sujet et conseille aux musulmans et aux juifs d’abandonner leurs « habitudes ancestrales ». Immense tollé dans les deux communautés. Inutile de dire qu’on abandonnera vite ce thème de campagne qui risque de coûter des électeurs à la droite. On songera plus tard à réformer les méthodes d’abattage.

Le contingent et l’essentiel.

Depuis plusieurs semaines, on avait bien l’impression que les chefs de gouvernement européen, Merkel, Cameron, Rajoy, boudaient le candidat socialiste et soutenaient ouvertement M. Sarkozy. Ostracisme de droite ? Il s’agit plutôt d’une convergence européenne dictée par la volonté affichée de M. Hollande de renégocier le Pacte européen, le mécanisme de stabilité (MES) et la « règle d’or » qui interdit les déficits publics. Angela Merkel s’est officiellement prononcée en faveur du candidat de la droite. Elle aurait même promis de participer à un ou des meetings de campagne de M. Sarkozy. Du coup, les socialistes soupçonnent les chefs de gouvernement européens d’avoir fomenté un complot pour faire échouer M. Hollande. Bien entendu, chacun des accusés se défend de concevoir un projet aussi pervers. Mme Merkel s’empresse de dire qu’elle négociera avec le candidat qui sera élu. Et comment pourrait-elle agir autrement ? Si un complot existait, à quoi servirait-il ? Comment quelques Premiers ministres pourraient-ils se substituer à l’électorat français ? Là encore, on a fait une longue exploration dans le contingent au mépris de l’essentiel.

LE DÉBAT SUR LA VIANDE HALLAL, OU COMMENT PARLER D’AUTRE CHOSE

Encore que les gouvernements européens qui sont parvenus très péniblement à stabiliser, au moins pour le moment, les finances de la zone euro, s’inquiètent des propos de M. Hollande qui remet en question des décisions durement acquises. Il n’est certes motivé que par le souhait de mettre la croissance, plutôt que l’équilibre financier, au cœur des accords européens. Mais il ne peut pas dire non aux mesures relatives à la zone euro, soulever une vif ressentiment, et évoquer ensuite un complot dont il serait la victime.

Est-ce que ces échauffourées, propres à soulever la colère des électeurs, mais sans lendemain, font avancer le débat sur la manière dont la France devra être gouvernée après les élections présidentielle et législatives ? Il est significatif que M. Hollande continue à se présenter comme l’antithèse absolue de M. Sarkozy. On souhaiterait plutôt qu’il explique comment il conciliera ses nouvelles dépenses avec l’équilibre budgétaire. Quant à M. Sarkozy, qui ne décolle guère dans les sondages, il fait une très mauvaise campagne. Il nous parle, encore et encore, de viande hallal et d’immigration, il court après les électeurs de Mme Le Pen comme s’il ne devait pas en séduire d’autres, et sa porte-parole, Nathalie Kosciusko-Morizet, ne ménage pas son ministre, Claude Guéant. Elle devait apporter une note d’humanisme qui, pourtant, nous semble indispensable. Voilà qu’elle est critiquée pour ce qu’elle est, antiréactionnaire, moderne, à gauche de la droite et, si on lit bien les journaux, trop blonde et trop gracieuse. Pourtant, elle serait parfaite pour défendre le bilan de M. Sarkozy, sa gestion des crises, sa contribution à l’appareil financier mis en place par les Européens, son extraordinaire réactivité aux crises du monde, par exemple la Libye, sinon la Syrie. Et ses réformes, notamment celle des retraites dont vous verrez que M. Hollande, une fois au pouvoir, ne les abolira pas parce qu’elles sont indispensables à la survie financière du pays. M. Sarkozy aurait dit un jour que, tant qu’à faire, il se verrait bien comme l’homme qui aura réformé jusqu’au bout au prix d’une impopularité sans bornes qui lui coûterait son second mandat. Nous sommes exactement dans ce cas de figure.

RICHARD LISCIA

Source : Le Quotidien du Médecin: 9095