LE SOCIOLOGUE Frédéric Pierru était l’invité des dernières Tribunes de la Santé (1). Chargé de recherche au CNRS, l’ uteur notamment de l’ouvrage « Hippocrate malade de ses réformes » (Éditions du Croquant, 2007) a présenté quelques pistes de réflexions sur le rapport qu’entretiennent les professionnels de la santé avec la politique, en s’appuyant plus particulièrement sur le cas des députés médecins. Ses questions de départ : Que veut dire s’engager politiquement pour un médecin ? Quel est le pouvoir politique de ceux qui sautent le pas ? Enfin, la pratique politique n’éloigne-t-elle pas in fine les médecins de leur profession initiale ?
Le chercheur bâtit sa réflexion à partir du capital politique détenu par les médecins, en tant qu’individus mais aussi collectivement (les prises de positions des organisations représentatives des médecins étant une illustration de ce niveau collectif). Dans la littérature, Frédéric Pierru constate que certains travaux annoncent le déclin du capital politique des médecins et le remettent en cause tandis que d’autres, au contraire, estiment que la profession a réussi à résister et que, individuellement, les médecins engagés parviennent à conserver leur identité professionnelle tout en menant leur carrière politique.
Comment trancher entre ces deux hypothèses ? En recourant à l’exemple de la loi HPST, propose le sociologue. Car pour lui, ce qui s’est passé autour de ce texte combine d’anciens et de nouveaux usages. Pour la première fois en effet, l’élite des cliniciens hospitaliers s’est engagée et mobilisée dans l’espace public. Auparavant, ces grands patrons œuvraient davantage en coulisses, via leurs réseaux. Il semblerait donc que leurs modes d’action traditionnels soient de plus en plus érodés, inefficaces, face à un pouvoir politique qui entend remettre en cause leurs modes d’échanges habituels… Frédéric Pierru met au passage l’accent sur l’échec relatif de cette mobilisation, lequel met en lumière de fortes divisions internes au sein des professionnels de santé. Le chercheur explicite sa conception du « nouveau versus ancien » en montrant la coexistence d’une élite de cliniciens qui perd ses repères et d’un mode d’action qui reste, finalement, des plus traditionnels.
Distance.
Par ailleurs, sous l’effet de la nationalisation de la vie politique – et sous celui de la professionnalisation de l’activité politique –, « il semblerait que les professionnels de santé, en entrant en politique, soient petit à petit conduits à prendre leurs distances avec leur domaine de compétences initiale, occasionnant par conséquent une dégradation des relations entre les élus médecins – parlementaires – et les porte-parole de la profession », indique Frédéric Pierru. « Ces élus finissent ainsi par adopter un discours d’expert et non plus un discours de professionnel », ajoute-t-il.
Que reste-il alors du fameux « pouvoir politique médical » ? Pour le sociologue, on peut se mettre d’accord sur une relative érosion de ce dernier sans que l’on assiste pour autant à sa totale remise en cause… Le pouvoir médical « reste d’abord un mythe », affirme le chercheur : « Le médecin continue d’être perçu collectivement comme un leader d’opinion, alors même qu’individuellement personne n’y croit. » Mais le mythe est alimenté aussi par « la représentation que se font les décideurs politiques des attentes des assurés sociaux, qui sont elles-mêmes liées aux représentations des médecins »...
Ayant travaillé exclusivement sur cette question auprès des parlementaires médecins – et non des élus locaux, par exemple –, Frédéric Pierru souligne que cette question du pouvoir politique des professions de santé mérite d’autres développements.
(1) Tribunes de la santé 2011 (« Santé et vie politique »), sous l’égide de la Chaire Santé de Science Po et du Centre d’analyse des politiques publiques de santé (CAPPS) de l’École des hautes études en santé publique (EHESP).
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