Après l'émotion suscitée par l'Affaire Halimi, le gouvernement accepte de rouvrir le débat autour de la question de l'irresponsabilité pénale pour trouble mental, en mettant sur pied une commission de personnalités qualifiées, constituée d'anciens législateurs, de magistrats et d'experts psychiatriques, afin d'évaluer le dispositif actuel.
Telle est la réponse que la ministre de la Justice Nicole Belloubet a faite aux sénateurs ce 18 février dans le cadre d'un débat en séance publique portant sur l'irresponsabilité pénale. Au cœur de la discussion se trouve la question du délicat équilibre entre l'un des principes fondateurs d'un État de droit, qui veut qu'on ne juge pas des personnes au discernement aboli, et l'exigence d'une justice à rendre aux victimes.
La loi du 25 février 2008 avait déjà apporté de substantielles modifications en permettant que la responsabilité pénale de l'auteur soit débattue publiquement et contradictoirement et donne lieu, le cas échéant, à une déclaration d'irresponsabilité pénale. Cette loi permet en outre aux juges d'affirmer qu'il existe des charges suffisantes pour dire qu'une personne, bien qu'irresponsable, a commis les faits qui lui sont reprochés ; et de prendre des mesures de sûreté pour protéger les victimes. Auparavant, l'irresponsabilité pénale était simplement constatée par le juge d'instruction qui prononçait une ordonnance de non-lieu, un acquittement ou une relaxe.
Équilibre entre État de droit et droits des victimes
Mais cet équilibre trouvé il y a 12 ans se voit ébranlé par la dernière décision judiciaire dans l'affaire du meutre de Sarah Halimi, retraitée sexagénaire de confession juive défenestrée en avril 2017 au cri d'« Allahou Akbar » par Kobili Traoré, 27 ans à l'époque, sous l'emprise de cannabis. Le 19 décembre dernier, la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris a bien reconnu le caractère antisémite du crime. Mais elle a aussi déclaré que, le jugement de l'auteur des faits étant aboli au moment des faits (trois expertises psychiatriques font état d'une bouffée délirante aiguë), il était pénalement irresponsable et ne devait pas être jugé aux assises. La cour a ordonné son hospitalisation et des mesures de sûreté pour une durée de 20 ans, dont l'interdiction d'entrer en contact avec les proches de la victime. La famille de Sarah Halimi s'est pourvue en cassation. L'émotion et l'incompréhension furent vives dans toute la société.
Deux propositions de loi déjà déposées
« On ne peut pas arguer de sa propre turpitude, se mettre volontairement sous l'emprise de stupéfiants ou d'alcool, et y chercher une excuse de l'acte qu'on a commis », a déclaré la sénatrice centriste Nathalie Goulet. Une situation qu'elle rapproche d'autres drames liés à la radicalisation, à Villejuif ou Metz où « la psychiatrisation du terrorisme a conduit à banaliser le chemin de l'impunité », a-t-elle argumenté. « Il y a un maillon manquant dans notre dispositif de responsabilité, qui pourtant aiderait les victimes » a-t-elle insisté.
Pour y remédier, la sénatrice de l'Orne a déposé début janvier une proposition de loi visant à repenser la notion de responsabilité pénale. Concrètement, elle propose de revoir les dispositifs de l'article 122-1 du Code pénal qui stipule « que n'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte au moment des faits d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes », pour qu'il ne s'applique pas « lorsque l’état de l’auteur résulte de ses propres agissements ou procède lui-même d’une infraction antérieure ou concomitante ». Ou encore, selon les termes de l'exposé des motifs : « à un auteur qui a arrêté son traitement médicamenteux, et/ou est sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants ».
De son côté, le sénateur Roger Karoutchi (LR) a déposé une seconde proposition de loi visant à favoriser la tenue d'un procès y compris en cas d'irresponsabilité pénale. Comment ? En supprimant la procédure de décision devant la chambre de l'instruction (au stade de l'instruction) pour la déporter systématiquement devant la chambre de juridiction (cour d'assises ou tribunal correctionnel, une possibilité rarement utilisée aujourd'hui). En outre, son texte propose que le droit d'appel d'une déclaration d'irresponsabilité pénale soit accordé aussi à l'accusé, au prévenu, au ministère public et à la partie civile, et non seulement au procureur général.
Diagnostiquer les éventuelles lacunes de notre droit
Ce 18 février, la garde des Sceaux s'est montrée prudente devant les sénateurs, dont certains, comme la radicale Nathalie Delattre (chargée d'une mission sur l'expertise psychiatrique au pénal) ou le marcheur Thani Mohamed Soilihi, se sont inquiétés de la sur-représentation des troubles psychiatriques en prison et de la diminution du nombre de décisions d'irresponsabilité pénale.
« Je ne commenterai pas l'affaire Halimi. Je pense qu'il serait sage, avant de légiférer à nouveau d'attendre la position de la Cour de cassation à la suite du pourvoi des parties civiles », a déclaré Nicole Belloubet.
Néanmoins, la commission à venir devra mesurer les « limites de notre droit avant d'envisager éventuellement de nouvelles réformes au niveau procédural, analyser l'état de la jurisprudence en matière de troubles résultant d'intoxication volontaire, et envisager des propositions pour améliorer l'encadrement législatif » en s'inspirant de ce qui se fait à l'étranger, a précisé la ministre de la Justice. Sans remettre en cause le principe selon lequel on ne condamne pas la démence, a-t-elle conclu.
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