En 30 ans l’emprise administrative dans le paysage sanitaire français est devenue progressivement majeure et incontournable, au point de modifier dans la durée l’équilibre public/privé, d’influencer en profondeur les pratiques et les financements de l’activité médicale et de participer à la chute démographique de la médecine libérale :
- Politique nationale de santé idéologiquement marquée, définie par le ministère et ses satellites, puis déclinée en région par les agences régionales de santé (ARS) ;
- Hospitalo-centrisme revendiqué au sommet de l’État comme un étendard politique, en contradiction avec les moyens budgétaires sans cesse plus contraints et la nécessaire montée en puissance de la médecine ambulatoire ;
- Impulsions politiques itératives et médiatiques des présidents de la République qui, chacun à leur tour, veulent marquer leur quinquennat d’un grand thème médical, décliné sous la forme d’un Plan national drainant un considérable flux financier ;
- Montée en puissance de multiples campagnes de santé publique et de parcours de soins ;
- Organisation publico-centrée des urgences déniant au privé d’avoir son propre numéro d’appel alors qu’on attend de lui de résoudre l’engorgement des urgences hospitalières ;
- Domination publique de la gouvernance, naguère plus équilibrée, des nombreux réseaux de soins ;
- Pouvoir quasi discrétionnaire des services de l’État en termes d’existence et de survie des établissements et structures de soins privés ;
- Absence quasi-totale des spécialistes libéraux dans les radars et les préoccupations des agences régionales focalisées sur les seuls médecins de premier recours ;
- Défaut d’accompagnement des opérateurs de l’hospitalisation privée de la part des ARS qui craignent de se faire accuser de collusion avec les moutons noirs de l’offre de soins ;
- Réglementation galopante et budgétivore ;
- Démographie médicale plus que déséquilibrée en faveur du secteur public, sans pour autant réussir à répondre aux besoins des établissements hospitaliers ;
- Déplacement du curseur décisionnel vers le monde juridique comme on l’a vu récemment dans une problématique de fin de vie ;
- Politique sociale difficilement maîtrisée et mal assumée, avec un flou de ses modes de financement faisant supporter indûment à la branche maladie de lourdes charges purement sociales rendant impérative à court terme la distinction claire entre le médical et l’aide sociale à l’heure de coupes budgétaires drastiques ;
- Tarifs d’hospitalisation artificiellement et chroniquement trop bas au regard de la constante augmentation des charges mettant tous les établissements de santé, publics et privés, en situation précaire ou franchement déficitaire ;
- Interventions plus ou moins heureuses et souvent redondantes des multiples strates des collectivités territoriales dans la problématique de santé ;
- « Démocratie sanitaire ». Formidable mille-feuille administratif, sans cesse complexifié. Les professionnels ont invariablement la conviction de perdre leur temps en brassant du vent médiatique, d’être les instruments de chambres d’enregistrement de décisions prises en amont et en définitive de n’être pas entendus ;
- « Égalité d’accès aux soins », antienne médiatique et politiquement correcte obérant l’exigeante « qualité des soins » qui avait pourtant sous-tendu notre politique d’aménagement du territoire il y a une trentaine d’années. Revirement radical faisant perdurer à grands frais des milliers d’établissements publics de proximité voués naguère à la disparition pour des raisons qualitatives et quantitatives toujours d’actualité…
Cette édifiante énumération illustre la contradiction entre le prétendu ultralibéralisme qui gangrènerait la France et la réalité jacobine sans cesse plus marquée. Entendons-nous bien, notre propos n’est pas de nier l’importance des irremplaçables impulsions de l’État sur les grands thèmes directeurs. C’est l’omniprésence, l’omnipotence et la manière qui posent problème. Nous nous posons la question de la capacité d’un tel mode de fonctionnement à réinventer une offre de soins réaliste, moins hospitalière, moins idéologique, de qualité et de coût raisonnablement arbitrés, dans un contexte de grave et durable crise économique. Situation qui devrait pourtant nous inciter à abandonner au plus vite dogmes et préjugés et à privilégier le pragmatisme et l’égale écoute de tous les acteurs.
L’enjeu est maintenant de comprendre puis de faire mentir le magazine américain « Newsweek » qui titrait récemment : « Comment le pays du coq est devenu celui de l’autruche ».
* Président de l’URPS Médecins Libéraux de Bourgogne/Dijon
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