Acheter français

La tentation protectionniste

Publié le 15/12/2011
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ACHETER FRANÇAIS n’est rien d’autre qu’un mot d’ordre protectionniste. Il est en outre complètement illégal dès lors que les traités européens nous interdisent de favoriser, de quelque manière que ce soit, un produit français par rapport au même produit en provenance de l’un des 27 pays membres de l’Union européenne. Il est également dangereux, car toute manifestation de protectionnisme en France se traduirait par des représailles dans le pays qui en serait victime : nous achèterions français que nous exporterions de moins en moins.

Ce qui est légal en revanche, c’est de n’accueillir des produits étrangers en France que si la stricte réciprocité est appliquée à nos propres produits par le pays exportateur. C’est rarement le cas de la Chine, qui fait l’objet de toutes nos réflexions sur la démondialisation ou plutôt sur la manière d’atténuer les excès non contrôlés de la mondialisation. Dans le passé, nous avons eu des bras-de-fer avec des pays qui appliquaient des règles commerciales déloyales. L’expérience montre que, lorsque la fièvre protectionniste augmente, un accord est vite trouvé entre les deux pays en litige.

Des relocalisations.

M. Bayrou n’a pas tort d’inciter les Français à acheter français : tout ce qu’il leur demande, c’est d’en avoir le souci quand ils vont faire leurs emplettes. Mais il ne les convie pas à un tâche facile : il y a des objets de très grande consommation, par exemple les appareils de télévision, que la France, pratiquement, ne fabrique plus ; par ailleurs, il ne faut pas que la préoccupation de sauver des emplois français ruine le consommateur français : le produit national doit être concurrentiel en termes de prix et de qualité; ce qui n’est pas forcément le cas ; si le prix est plus élevé, la qualité doit être supérieure.

IL VAUDRAIT MIEUX DIRE « VENDRE FRANÇAIS »

En d’autres termes, acheter français est moins un problème de demande qu’un problème d’offre : le producteur doit fabriquer à bas coût, être présent massivement sur le marché, disposer de réseaux de vente et de services après-vente. Mardi, le président Sarkozy a visité à Sallanches une usine de skis qui a relocalisé partiellement ses emplois et se porte bien. C’est un petit exemple qui s’ajoute à d’autres. Tous démontrent que ce qui compte, c’est l’innovation, une qualité qui met hors jeu nos compétiteurs et des coûts de revient compétitifs si on tient compte du prix du transport des produits importés de Chine ou du reste de l’Asie.

Le phénomène de relocalisation semble prendre racine, ce qui est une excellente nouvelle. Il doit devenir massif. Mais on voit bien ce qu’il signifie : avant d’acheter français, il faut fabriquer français. Ce qui exige un effort beaucoup plus grand qu’un simple penchant patriotique. On a pris conscience, par ailleurs, de l’importance des petites et moyennes entreprises qui, contrairement aux multinationales, sont les vraies créatrices d’emplois en France. Ce sont elles que nous devons soutenir, certes grâce à la sympathie du consommateur français mais surtout grâce au soutien fiscal de l’État. Le problème avec les slogans, comme « Achetez français ! », c’est qu’ils ne racontent que la partie la plus plaisante de l’histoire, pas les pages douloureuses. Il serait utile qu’un homme ou une femme politique propose plutôt de « vendre français », ce qui serait un programme élaboré plutôt qu’une incitation. Il faut se demander pourquoi notre industrie de la chaussure, par exemple, disparaît. Dans une période aussi critique que celle que nous traversons, il n’est peut-être pas judicieux de proposer des chaussures élégantes et inusables à un prix élevé. Le consommateur n’est pas hostile aux marques nationales, il a seulement besoin d’adapter ses dépenses à son revenu.

RICHARD LISCIA

Source : Le Quotidien du Médecin: 9059