LE QUOTIDIEN - « Évasion » et hospitalisation, est-ce compatible pour le psychiatre des hôpitaux ?
Dr FRANÇOIS CAROLI - Techniquement, les mots « fugue » et « évasion » n’ont pas de sens. Le premier, extrêmement péjoratif pour le patient, a été supprimé du langage officiel ; quant au second, une circulaire de Simone Veil du 11 mai 1978 lui substitue l’expression « sortie sans autorisation » pour les hospitalisations à la demande d’un tiers (HDT)**. Indépendamment des vocables, qui ont leur importance, nous nous devons de mettre en place des moyens pour que les malades hospitalisés sous contrainte (HDT, hospitalisation d’office-HO) ne quittent pas l’établissement sans permission.
De quels moyens s’agit-il ?
Il en va de la surveillance exercée par les personnels infirmiers, dont c’est le devoir, et de la responsabilité du directeur de l’établissement, qui en a l’obligation. Dans le drame de Saint-Égrève, près de Grenoble, en novembre dernier (un jeune homme de 26 ans a été tué par un malade sorti de l’hôpital psychiatrique sans autorisation, NDLR), un défaut de surveillance ne saurait être écarté. Nous savons bien que des sorties échappent à la vigilance. Plutôt que de livrer les schizophrènes à la vindicte publique, il faudrait prendre le temps de diligenter des enquêtes administrative et sanitaire, de manière à identifier d’éventuels dysfonctionnements et d’y remédier. L’indication d’une HO pour le détenu de l’Aisne qui a défrayé la chronique ces jours derniers était-elle la bonne ? On peut s’interroger sur le geste consistant à scier un barreau pour s’enfuir imputé à une personne qualifiée de malade mental. Il faut remettre du calme dans notre profession.
Manquerait-il aux soignants le zèle des gardiens ?
En aucune façon, les personnels soignants ne peuvent être confondus avec des gardiens. Ils se doivent, de façon humaine et professionnelle, de rester en contact avec les patients, d’exercer une surveillance thérapeutique vigilante auprès d’eux et, pour cela, il faut qu’ils soient bien entendu en nombre et régulièrement formés.
Par ailleurs, l’obligation de soins peut s’exercer à l’extérieur de l’hôpital par le biais de la « sortie d’essai » qui suit l’hospitalisation sous contrainte. Et si la personne ne se conforme pas aux visites médicales et aux soins, elle sera placée de nouveau en établissement, y compris avec l’aide des autorités dans le cas où elle manifesterait une opposition. En revanche, il appartient au seul médecin, muni de sa technique et avec l’appui de la famille, de juger et de jauger de la capacité du patient à vivre hors de l’hôpital.
En somme, un arsenal de protection existe. Il est nécessaire pour en user d’instaurer une collaboration de bon aloi entre l’équipe de secteur et les services de police ou de gendarmerie.
Et qu’en est-il avec les détenus ?
Quelques patients sous main de justice nous sont envoyés en HO par l’administration pénitentiaire. Tout en se retrouvant en « psychiatrie ordinaire », les « 398 »- article du code pénal relatif aux prévenus ou aux condamnés qui poursuivent leur peine sous traitement hospitalier - ont les mêmes droits que les prisonniers. Maintenant, leurs conditions d’enfermement en HO sont telles que certains d’entre eux demandent à retourner en prison, où ils se sentent mieux. La plupart des « 398 »sont hospitalisés en psychiatrie pas forcément en raison d’un état de santé qui les rend dangereux, mais parce que leur incarcération renvoie à une dangerosité sociale.
* « Dès l’annonce de son évasion, plusieurs dizaines de gendarmes avaient été mobilisés pour retrouver (...) ce dangereux fuyard, qui s’était déjà évadé, en mars 2004, d’un hôpital psychiatrique à Antony (Hauts-de-Seine) » (« le Parsien » du 27 janvier, rubrique « Faits divers »).
** Le même texte stipule que les sujets en placement libre peuvent quitter l’hôpital de leur propre chef, ou « contre avis médical » (décharge) si les médecins s’y opposent.
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