L’OUVRAGE s’ouvre et se ferme sur deux courtes fictions effrayantes ; scénarios possibles de ce que pourraient donner les inégalités croissantes de notre système de protection sociale, entre toute-puissance des assureurs privés et délégation au système public des seules situations d’urgence. Puis de petites histoires réelles et concrètes de la vie hospitalière du chirurgien émaillent le propos, organisé autour des symptômes les plus alarmants et manifestes de la maladie de notre système de santé : rôle des assurances, coût de la défiance, politique de la peur, effets pervers des cotations, judiciarisation et dérive comptable de la médecine, exigences de la réglementation et des « procédures qualité », qui, paradoxalement, éloignent du soin proprement dit.
L’orthopédiste ne mâche pas ses mots et ne cache ni sa colère ni sa crainte de voir notre système de santé dériver rapidement et sûrement vers un système à l’américaine tel que celui qu’Obama peine tant à réformer. Et que nous avons longtemps montré du doigt pour son caractère inique et corporatiste. Il n’y a pas de doute, ironise-t-il, ce qui coûte le moins cher, c’est de ne pas soigner ! Si nous voulons conserver un système de soins performant, il faut y mettre le prix. Et éviter les gaspillages. Car mieux organiser les dépenses de santé paraît possible explique-t-il tout en décrivant et en dénonçant les erreurs et absurdités de notre système de santé.
Médecine défensive.
La dérive a été progressive, analyse le spécialiste, qui l’a vue opérer ses effets délétères au fil de ses quarante années d’exercice. Entre autres responsables, « une nouvelle discipline, la "risquologie" a fait son entrée dans notre monde », déplore Laurent Sedel ; au risque de tuer la médecine en général et le métier de chirurgien en particulier. Alors même que vivre avec le risque et la hantise de mettre en danger la vie des patients fait partie intégrante du métier de chirurgien : « Reconnaissons qu’il faut un certain courage et peut-être même une dose d’inconscience pour faire ce métier », écrit-il.
Pourtant, tout est fait pour encourager la pratique d’une médecine « défensive » et « précautionneuse », destinée à se protéger du juge et du procès. Avec ses corollaires aujourd’hui manifestes : défiance et agressivité de la part des patients et malaise des médecins. Les seconds cherchent à parer le risque et les premiers à désigner un coupable en cas de bavure (« Ah, le fantasme des guerres propres ! ») ; le tout avec la bénédiction des assureurs privés et de l’État, qui trouve là un bon moyen de se défausser.
Laurent Sedel multiplie les exemples de l’absurdité qui tue quotidiennement la médecine publique et dénonce avec force cette gestion qui n’est pas celle « qui cherche à soigner les gens, si possible au moindre coût ». De la mauvaise organisation de la chaîne des urgences (un orthopédiste mais pas de chirurgien vasculaire dans le même hôpital, par exemple) à la réduction des capacités opérationnelles (des blocs opératoires qui ne tournent pas faute de personnel) en passant par ce qui ne sert pas le budget de l’hôpital mais peut aider le patient (opérer en même temps les deux hanches d’un patient ayant une coxarthrose bilatérale faute de tarification correspondante par exemple).
Face à ce risque d’hécatombe programmée de l’hôpital public, est il trop tard ? Y a-t-il des solutions ? Oui, répond Laurent Sedel. La gestion actuelle des hôpitaux, où règne un système pseudo-démocratique, est coûteuse, peu transparente ; les directions sont peu inventives, soumises à leurs nombreuses et influentes autorités de tutelle et, qui plus est, n’ont plus à demander leur avis à la communauté médicale. Améliorer l’organisation en profitant au mieux du système qui existe déjà et de l’excellent niveau des professionnels de santé est un projet réaliste même si des changements nécessaires peuvent, dans un premier temps au moins, paraître impopulaires, affirme Laurent Sedel.
Laurent SedeI, « Il faut sauver les malades », Albin Michel, 215 p., 16 euros.
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