Depuis une quinzaine d’années, des déremboursements de médicaments sont décidés de façon récurrente pour tenter de juguler le déficit de la Sécurité sociale. Si cette pratique se justifie pour une médecine fondée sur des données probantes, on s’interroge sur le calcul du prix du médicament. Celui-ci ne représente que 15 % des dépenses de l’assurance-maladie et il est rare que la valeur concentrée dans le médicament profite à celui qui le conçoit et le développe.
Ces coups de rabot successifs ne peuvent donc avoir qu’un effet marginal, et, en l’absence d’études concluantes, il faut chercher ailleurs les raisons de cette obstination.
Pour le ministère, la pression sur le prix des médicaments présente en réalité deux grands avantages : être beaucoup moins complexes et socialement explosifs qu’une réforme du système de soins, et braquer l’attention sur un bouc émissaire commode, l’industrie pharmaceutique. Nos décideurs semblent pourtant la méconnaître et ne pas savoir en différencier les différents acteurs.
Une cible évidente
Opaques, en apparence opulents, et régulièrement mis en cause pour des comportements discutables, les grands groupes pharmaceutiques internationaux constituent, il est vrai, une cible facile. Pris entre la perte de ses revenus et les exigences financières de ses actionnaires, le secteur a réagi de façon opportuniste, et parfois critiquable. D’abord en délocalisant massivement au début des années 2000, au point de créer aujourd'hui des risques non négligeables en matière d’approvisionnement et de qualité des médicaments (ferons-nous le choix du moins-disant ?). Puis, plus récemment, en financiarisant la recherche pour pratiquer des prix inflationnistes aux innovations. Plutôt que d'investir dans leur propre R & D, les grands laboratoires se sont en effet lancés dans une course effrénée à l’achat de start-up innovantes.
Les maladies orphelines également, longtemps délaissées, constituent le principal enjeu de cette stratégie spéculative, car elles apparaissent comme des niches commerciales à fort potentiel, où le prix du médicament n’est plus fixé en fonction du patient mais de son assurance.
Les tactiques publiques imposent au secteur de préserver ses marges et de trouver des relais de croissance, mais notre industrie, jadis si puissante dans notre pays, y est désormais fragilisée. Ces politiques ont favorisé les génériqueurs et fait oublier ce qui distingue notre tissu industriel français des multinationales pharmaceutiques qui n’ont parfois aucune usine sur notre territoire, voire dans l’Union européenne.
Notre industrie regroupe des compétences, des sites industriels avec des investissements majeurs, des années de mise en route et de maîtrise. En tapant sur les industries étrangères, on affaiblit ceux qui contribuent de façon majeure à l’économie du pays, y compris à l’enseignement supérieur et à l’aménagement du territoire, alors qu’une politique d’intégration de nos savoirs donnerait des atouts à une stratégie de santé qui reste à définir.
Rupture scientifique
Comment imaginer aujourd’hui une rupture scientifique aussi fondamentale que la vaccination ou les antibiotiques ? L’industrie pharmaceutique est une industrie extrêmement complexe, onéreuse, surveillée, et le prix des médicaments n’est que le reflet de coûts de développement et de fabrication dont l’énormité échappe parfois aux décideurs politiques comme aux citoyens. Et le seul moyen de concilier ces investissements considérables avec des impératifs financiers à court terme est de pouvoir s’appuyer sur des revenus stables et visibles… ce qu’empêche l’absence d’une politique industrielle de la santé !
Intégrons notre industrie dans une stratégie à long terme et retrouvons notre capacité à mettre en œuvre des projets. On ne se veut plus maîtres de nos innovations, de la valorisation de nos laboratoires pour la conception et la fabrication de nos médicaments. On ne sait même plus qui fabrique ses composants alors qu’à l’inverse, nos habits portent trop souvent l’étiquette « Made in… ». Nous sommes également aveugles sur leurs circuits de distribution, pour en apporter de la valeur qu’à celui qui les commercialise. Les mêmes exigences, la même rigueur s’appliquent pourtant à ceux qui les conçoivent et les fabriquent.
Le serpent se mord la queue
Malheureusement, nos politiques les sacrifient par absence d’une stratégie clairvoyante dans un contexte où les temps sont longs, contre ceux de la parole politique et du retour sur investissement de l’actionnaire. Le serpent se mord donc la queue, et c’est ainsi que s’est enclenché un cercle vicieux aux lourdes de conséquences : stagnation de l’offre thérapeutique (à l’exception d’innovations inaccessibles), renoncements aux soins, augmentation des risques, désindustrialisation, impact social et perte de compétences…
La Sécurité sociale n’est pas seulement un mécanisme assurantiel, c’est le pilier de la santé publique en France, et en aborder systématiquement les réformes d’un point de vue comptable s’avère, en définitive, contre-productif et apparemment inefficace. Pouvoirs publics, corps médical, patients et industrie pharmaceutique devraient œuvrer de concert pour fixer le cap d’une véritable politique de santé publique : quelle santé veut-on pour nos populations vieillissantes, et quels moyens sommes-nous prêts à y consacrer ?
Plus encore, quelle stratégie sera dévolue à notre recherche et aux acteurs locaux, à leurs savoir-faire et à leurs compétences. Ce sont là des choix essentiels, de long terme comme nos investissements, et des arbitrages difficiles qu’on ne saurait plus longtemps sacrifier à l’impatience des actionnaires et de l’opinion publique.
* Antoine Réveilleau dirige l'entreprise Seratec (chimie pharmaceutique)
Le taux de micro/nanoplastiques dans l’athérome carotidien est associé à la sévérité des symptômes
Dans la cholécystite, la chirurgie reste préférable chez les sujets âgés
Escmid 2025: de nouvelles options dans l’arsenal contre la gonorrhée et le Staphylococcus aureus
Yannick Neuder lance un plan de lutte contre la désinformation en santé