UN ESSAI ? Mieux : un récit permanente sans début ni fin, qui nous permet de pénétrer dans les sociétés maghrébines avec les fourgons de l’auteur. Nous sommes, avec elle, en compagnie de Tunisiens pour qui le chemin de la liberté passe par la défense, fût-elle désespérée, des droits de l’homme ; nous nous arrêtons un instant pour contempler le site incomparable de la baie d’Alger, là où le choc mortel des rages humaines gâche durablement les bonheurs simples dispensés par la nature ; nous passons par Rabat ou Casa où quelques esprits indomptables jouent au chat et à la souris avec une monarchie jalouse de ses prérogatives. Martine Gozlan ponctue de cent portraits d’hommes et de femmes (certains sont connus en France, d’autres moins) une narration débridée qui mélange, avec le talent du joueur de cartes, les faits du passé et ceux du présent, les revendications tonitruantes et les incompréhensibles dénis de droit, les coups de boutoir contre les régimes en place et les contradictions ubuesques de potentats aux abois.
L’auteur, qui en a tant appris depuis qu’elle arpente le monde arabe, qui connaît tant de gens, les dirigeants qu’elle critique sévèrement et les autres, ceux qui ont longtemps combattu dans l’ombre et pour lesquels elle ne cache pas sa sympathie, fait du Maghreb une analyse sans nul doute fondée sur les faits (il n’y a pas de meilleur historien que celui qui connaît l’histoire pour l’avoir vécue). Elle refuse néanmoins de masquer son émotion, sa proximité avec les protestataires, son amour pour une terre où elle a ses racines. C’est la révolution, que diable ! Il y a des pudeurs qu’on peut oublier dans un moment pareil.
Le lendemain : révolution.
On aime bien sa façon de nous expliquer en détail les prolégomènes du changement pour en arriver à une phrase toute simple, choisie sans doute avec l’humilité de l’expert qui, pas plus que les autres, n’a vu venir le tsunami : parlant de la Tunisie, elle écrit : « Le lendemain (14 janvier) : révolution », comme un pan d’histoire inscrit au menu du restaurant.
En tout cas, ce travail nous apporte deux idées très fortes qui deviendront rapidement les principes de toutes les observations que nous aurons à faire ultérieurement sur le maghreb. La première idée, c’est que les dissidents de tout poil auront toujours une chance, même si leur lutte paraît vaine et absurde : comme le pouvoir corrompt énormément, le moment arrive inévitablement où le peuple, n’ayant plus rien à perdre, se soulève ; c’est la règle de la révolution déclenchée par la disparition de la peur. L’autre idée, c’est que nous n’avons pas fini de comprendre ce qui s’est passé. Martine Gozlan ne se contente pas de reprendre quelques notions maintenant admises par tous, par exemple le fameux « alibi islamiste » qui a permis aux despotes maghrébins de « vendre » aux Occidentaux la stabilité politique de leurs régimes ; elle ne s’étend pas indéfiniment sur les liens économiques et commerciaux qui ont pérennisé la complicité des ex-puissances coloniales avec les mêmes régimes ; et elle distribue ses coups avec impartialité en stigmatisant un peu l’aveuglement occidental mais beaucoup plus les postures grotesques de gouvernements qui croient si peu à leur propre légitimité qu’ils feront n’importe quoi pour délégitimer la contestation.
AU-DELÀ DE LA RÉVOLUTION COUVE LE LIBRE-ARBITRE
Ce que Mme Gozlan nous dit en filigrane, c’est que ce n’est pas fini. Les premiers succès de la contestation portent en eux de nouvelles réflexions. Il n’est pas sûr que la religion reste omnipotente dans le monde arabo-musulman. Les dissidents ne sont pas des gens qui mettent des bornes à leur pensée. On est surpris de lire dans « La colère des peuples » de nombreuses références aux libres penseurs, aux franches rigolades que déchaîne dans le peuple les pratiques parfois ridicules de la religion, au ton de la presse qui, chaque fois que le pouvoir, en Algérie et au maroc, lui abandonne un espace de liberté, va plus loin que la presse française dans la critique, les révélations, la dérision. Les défenseurs des droits de l’homme sont , par la force des choses, des féministes, des juristes implacables, des Saint-Just. Ils n’ont pas fini de réfléchir et de faire réfléchir. Un siècle qui sera religieux ou ne sera pas, disait Malraux ? Attendez-vous à des surprises.
(1) Tunisie, Algérie, Maroc : la colère des peuples. L’Archipel. 19, 95 euros
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